Antoine TRUCHASSOU est né à Nexon le 30 avril 1869. Ses parents, Martial TRUCHASSOU (1835-1896) et Anne DESCHAMP (1840-?), sont employés chez le baron de Nexon.
Il part à Paris avant d’avoir 20 ans où il trouve un emploi de cocher. Au début de l’année 1891 il rencontre une jeune fille et vont devenir amants. Le marquis au service duquel il est, part en Bourgogne. Elle le rejoint. Constatant qu’elle est enceinte elle lui en fait part mais, devant revenir à Nexon pour se présenter une nouvelle fois devant le conseil de révision car il avait été ajourné pour faiblesses en 1890, il lui dit qu’il l’aidera mais sans parler de mariage.
Un soir il va diner chez un camarade mais elle ne le voit pas rentrer. Elle apprend qu’il est parti à Nexon. Elle va donc s’y rendre quelques semaines plus tard pour lui demander des explications. Arrivée à Nexon elle trouve facilement ou il habite. Elle y rencontre sa mère et lui annonce qu’elle est enceinte de son fils. Le soir elle prend une chambre dans un hôtel.
Le lendemain matin, 8 septembre 1891, elle retourne chez Antoine. Elle lui demande de rentrer avec elle mais il refuse. Il remarque qu’elle a une main sous ses vêtements mais, avant qu’il puisse faire quoi que ce soit, elle lui lance à la figure le contenu d’une fiole d’acide sulfurique. Il est blessé au visage. Elle est arrêtée par les gendarmes et incarcérée.
La presse avait largement rendu compte de ce fait divers :
Elle sera jugée le 3 novembre par la Cour d’Assise de la Haute-Vienne, moins de 2 mois après les faits ! La justice ne connaissait pas alors les lenteurs qui sont les siennes aujourd’hui. Elle est détenue et Antoine, son ancien amant, porte encore sur le visage les traces du vitriol.
Le procès va avoir une certaine audience. les procès d’Assise attirent toujours des spectateurs, dont certains sont des habitués. La tribune des femmes est remplie, curieuse de savoir ce que les jurés vont dire. A cette époque il est de règle qu’un garçon qui a mis enceinte une jeune fille doit normalement l’épouser et au minimum prendre à sa charge les frais entrainés par la naissance d’un enfant. Pour beaucoup Antoine a commis une faute d’honneur tandis que pour d’autre la jeune Flore DIEVAL s’est fait justice elle même et a causé des blessures graves à Antoine. Tout le monde attend le verdict.
La presse va en rendre compte le 5 novembre. Je retranscris l’intégralité de l’article qu’à consacré à cette affaire le Courrier du Centre et vous découvrirez le verdict.
Beaucoup plus de monde que le matin, à la tribune des dames, principalement.
L’accusée est introduite, c’est une fort belle blonde de 18 ans. Elle est vêtue de noir. A son entrée dans la salle d’audience elle porte sur les épaules un fichu de laine blanche.
Après la constitution du jury, M. DEBAY, greffier donne lecture de l’acte d’accusation qui révèle les faits suivants : Flore-Coralie DIEVAL, âgée de dix-huit ans, domestique, née le 11 juillet 1873, à Saint-Nicolas-les-Arras, arrondissement d’Arras (Pas-de Calais), demeurant à Paris (détenue), a été renvoyée devant la cour d’assises de la Haute-Vienne.
Après un nouvel examen des pièces, expose qu’il en résulte les faits suivants : Dans les premiers mois de l’année 1891, l’accusée DIEVAL avait noué des relations intimes avec le sieur TRUCHASSOU alors cocher à Paris. Pour subvenir à leurs besoins communs, les deux amants, dénués de toutes ressources, avaient été contraints d’engager au Mont de Piété tous les objets qui pouvaient y être acceptes.
Après quelques mois de cette existence précaire, TRUCHASSOU résolut de quitter Paris et de revenir dans sa famille, à Nexon. Il mit son projet à exécution le 24 août dernier, à l’insu de sa maîtresse qui s’était toujours opposée à ce départ.
L’accusée ne tarda pas à connaître l’adresse de son amant ; une première lettre qu’elle lui adressa resta sans réponse ; A une seconde, le sieur TRUCHASSOU répondit qu’il se trouvait sans argent.
Elle prit alors la résolution de se rendre à Nexon et de se venger de l’abandon dont elle était l’objet. Elle acheta une fiole de vitriol chez un marchand de couleurs à Paris et partit le dimanche soir 6 septembre, pour Nexon. Les démarches qu’elle fit le soir même de son arrivée pour retrouver son amant demeurèrent infructueuses.
Mais le mardi matin, 8 septembre, après s’être procuré un bol dans lequel elle vida l’acide sulfurique apporté de Paris, elle se rendit chez le beau-frère de TRUCHASSOU et fut introduite dans la chambre de ce dernier. Après quelques instants de conversation au cours de laquelle TRUCHASSOU demanda à plusieurs reprises à l’accusée ce qu’elle cachait sous son fichu de dentelle, celle-ci lui en lança le contenu à la figure.
Le sieur TRUCHASSOU a été grièvement atteint à l’oreille gauche, à la figure et au cou. Les blessures ne sont pas encore guéries et entraîneront, d’après le médecin-légiste, une infirmité permanente de l’ouïe.
En conséquence, Flore-Caroline DIEVAL est accusée d’avoir : Le 8 septembre à Nexon (Haute-Vienne), volontairement fait des blessures au sieur Antoine TRUCHASSOU.
Avec ces circonstances :
1° Que lesdites blessures ont occasionné une infirmité permanente ;
2° Que lesdites blessures ont occasionné au sieur TRUCHASSOU une incapacité de travail personnel de plus de vingt jours ;
3° Qu’elles ont été faites avec préméditation.
Crime prévu et puni par les articles 309 et 310 du code pénal.
Lorsque le nom de son amant cité comme témoin est appelé par le greffer, l’accusée se met à pleurer.
Les témoins sont an nombre de six.
Interrogatoire de l’accusée
Flore DIEVAL répond d’une voix ferme et avec beaucoup de modération aux questions qui lui sont posées par M. le Président. Elle indique de quelle façon elle a fait la connaissance de TRUCHASSOU son séducteur et sa victime, alors cocher chez le vicomte de X… Ce jeune homme, elle l’aima et devint sa maîtresse.
« C’est la passion qui m’a poussée, dit l’accusée, je n’avais pas besoin d’argent car j’étais placée chez un marchand de volaille. Pourtant, cette place, je l’ai perdue pour aller le rejoindre en Bourgogne, où l’avait appelé ses fonctions de cocher auprès de son maître.
« Lorsque je me suis vue enceinte.je lui ai fait part de ma grossesse, il m’a promis de m’épouser s’il n’était pas soldat : à ce moment il allait passer le conseil de révision, et, en tout cas, il m’a assuré qu’il m’aiderait à élever notre enfant.
» Un beau jour, il m’annonça qu’il allait dîner chez des amis, et depuis ne revint plus. Il s’était rendu à Nexon dans sa famille.
« Vous n’avez pas été très ennuyée de ce départ, dit M. le président, et ce qui le prouve, c’est la lettre que vous lui écriviez quelque temps après, au mois d’août, lui disant que vous aviez reçu quelque argent de chez vous et que vous aviez l’intention de retirer du Mont-de-Piété certains objets qu’il avait engagés dans les derniers temps de votre liaison.
» Enfin, le 6 du mois de septembre, vous vous rendiez à Nexon, et, en route, vous rencontrez un sieur CHATARD à qui vous confiez votre intention de réclamer à TRUCHASSOU une certaine somme d’argent qu’il vous devait. »
« Ceci est faux, interrompt l’accusée, je ne pouvais lui réclamer de l’argent que je ne lui avais jamais prêté. »
Arrivée à Nexon, vous vous êtes rendu avec votre compagnon de voyage, auquel vous aviez offert à boire pendant le voyage chez Truchassou. Vous n’avez trouvé que sa mère ?
C’est exact, dit l’accusée, lui était à Pompadour. J’ai trouvé sa mère et lui ai dit que j’étais enceinte des œuvres de son fils, puis je me suis retirée et suit allée coucher à l’hôtel, CHATARD était parti aussitôt après ma visite à TRUCHASSOU.
Le lendemain, continue M. le président, après avoir déjeuné vous avez caché sous votre tablier une fiole d’acide sulfurique et vous vous êtes rendue chez TRUCHASSOU ?
Parfaitement, répond Flora DIEVAL, je l’ai trouvé et lui ai demandé de revenir avec moi. Il a refusé, et m’a fait des reproches parce que j’étais venue me faire voir à Nexon. Je lui ai alors demandé de m’accompagner à la gare. Il n’a n’as voulu et voyant que j’avais une main immobile sous mes vêtements, il m’a dit : « Je regrette ce que j’ai fait, mais il est trop tard. »
Ainsi se termine l’interrogatoire de l’accusée.
Audition des témoins
— M. le docteur ESCORNE, médecin à Saint Yrieix, a constaté que tout le front, l’oreille gauche et le cou de Truchassou étaient brûlés. Les yeux n’avaient pas été atteints, le nez et les paupières l’étaient à peine.
Des constatations de l’honorable docteur, il résulte que l’œil est absolument perdue du côté gauche. Quant à la déformation du visage, elle ne sera pas très visible.
— L’entrée d’Antoine TRUCHASSOU produit une certaine sensation dans l’auditoire. Il n’est pas encore rétabli des brûlures produites par l’acide sulfurique et porte sur le front un bandeau qui lui fait le tour de la tête. Il raconte comment il a fait la connaissance de l’accusée, qu’il savait avoir été la maîtresse d’un autre.
Il n’a jamais été question de mariage entre nous, dit le témoin ; je tenais beaucoup à elle, mais quand il m’a fallu quitter Paris, où je me trouvais sans place, ayant dépensé avec elle la somme que m’avait envoyé mon beau-frère, je lui ai dit que j’allais dîner chez un ami, et je suis parti pour Nexon.
Elle est venue me rejoindre et m’a envoyé à la figure un bol d’acide sulfurique. J’ai été étonné, mais la preuve que je ne lui en voulais pas, c’est que j’aurais tout donné pour qu’elle ne fût pas poursuivie.
— Antoine LAVERGNE, palefrenier à Nexon, est le beau-frère de TRUCHASSOU. Il a été témoin de la discussion qui a éclaté entre TRUCHASSOU et Flore DIEVAL, mais, n’a pas assisté à la scène du vitriol.
— Marie LAMONERIE, 14 ans, servante chez le précédent témoin, a reçu le matin de son arrivée Flore DIEVAL qui lui a demandé si TRUCHASSOU était à la maison. Elle répondit que non. Le lendemain, Flore revint ; le témoin entendit des cris et sur la demande de TRUCHASSOU qui se roulait sur son lit, alla chercher le médecin.
— Alfred MERAUX, 34 ans, maréchal-ferrant à Nexon, où il exerce également la profession d’aubergiste, a vu le soir du 7 septembre Flore DIEVAL qui lui demanda s’il n’existait pas à Nexon une famille TRUCHASSOU.
« TRUCHASSOU, a-t-elle dit au témoin, m’a enlevé 150 fr. et je vais les lui réclamer. »
— Louise FOUGERE, femme COUVIDOU, aubergiste à Nexon, a vu également l’accusée, elle lui a tenu le même propos qu’au précédent témoin. C’est chez elle que Flore DIEVAL a pris le vase où elle avait mis l’acide sulfurique.
L’audition des témoins est terminée.
Une suspension d’audience d’un quart d’heure a lieu.
Réquisitoire
M. GIACOBBI, avocat général, commence à 4 heures son réquisitoire. Il met en parallèle le caractère emporté de l’accusée et la placidité de TRUCHASSOU. Flore DIEVAL n’en était pas à son premier amant, elle en a eu un autre avant le témoin qui vient de déposer contre elle. Elle n’est donc pas si naïve qu’elle veut le paraître, ni si intéressante qu’elle désirerait le faire croire.
Elle a agi comme beaucoup de jeunes filles malheureusement agissent ; elle s’est donnée de son plein gré et sans condition, puis, poussée par son caractère, elle a voulu faire du bruit autour d’elle lorsque son amant, ne pouvant plus vivre à Paris où il était sans ressources, se retira à Nexon dans sa famille.
Arrivé à la scène où Flore DIEVAL a lancé l’acide sulfurique à la figure de son amant, l’honorable organe du ministère public insiste sur la gravité des blessures produites par le liquide corrosif.
M. GIACOBBI termine son réquisitoire en demandant qu’une peine soit prononcée contre l’accusée.
Plaidoirie
Me OGER du ROCHER commence à quatre heures et demie une plaidoirie émue, prenant à parti TRUCHASSOU auquel il reproche sa conduite à l’égard de Flore DIEVAL par laquelle, dit-il, il s’est fait nourrir. « Il a toléré, ajoute l’honorable avocat, que sa maîtresse vende jusqu’à son dernier meuble, et quand il a vu qu’il était sans ressource, il a simplement abandonné la malheureuse ne voulant pas partager sa misère. »
« Il ne tenait pas à ce que Flore DIEVAL fut traduite devant les assises et cela se comprend, lui-même devait y comparaître, et il savait fort bien que sa position était délicate ».
Me OGER du ROCHER discute ensuite la gravité des blessures occasionnées par l’acide sulfurique et termine sa plaidoirie en faisant appela la pitié du jury pour sa cliente.
« Pitié, Messieurs les jurés, dit-il, pitié, pardon pour elle. Pitié pour ses souffrances, pardon pour ses erreurs. Donnez-lui cette joie suprême qu’elle vous demande : la possibilité de se faire honorer de ce petit enfant qui déjà vit en elle et qui reste aujourd’hui avec de vieux parents le seul être que Flore puisse aimer. »
Répliques
M. GIACOBBI ajoute quelques mots à son réquisitoire et insiste sur le fait que TRUCHASSOU, ainsi que le fit entendre la défense, n’a pas vécu aux dépens de sa maîtresse. Il gagnait de l’argent lui aussi et il est prouvé qu’il engagea sa montre et sa chaîne au Mont-de-Piété. S’il est parti pour Nexon sans prévenir Flore, c’est parce qu’il savait fort bien qu’elle ne le laisserait pas s’éloigner.
M. GIACOBBI termine en insistant sur l’application d’une peine proportionnée au crime commis par l’accusée.
Me OGER du ROCHER prend la parole le dernier. Il fait valoir une fois de plus les arguments de sa défense, et laisse le jury sous une bonne impression.
Le verdict
A 5 heures 1/4, le jury se retire pour délibérer, et rapporte, un quart d’heure après un verdict négatif aux questions qui lui sont posées.
Des applaudissements éclatent dans la salle que M. le président menace de faire évacuer.
En conséquence, la cour acquitte Flore DIEVAL, et ordonne qu’elle soit mise en liberté si elle n’est retenue pour une autre cause.
L’audience est levée à six heures moins le quart.
Ainsi donc celle qui était détenue se retrouve libre. Les jurés ont été sensibles au fait qu’Antoine n’assumait pas sa future paternité.
Qu’est devenue Flore et son enfant je l’ignore. par contre Antoine TRUCHASSOU a été réformé du fait de sa surdité à l’oreille gauche occasionnée par le vitriol moins de 15 jours après le jugement.
Son handicap ne l’a pas empêché de se marier. Le 28 octobre 1898, à Nexon, il a épousé Marie COUVIDOU (1873-1957).
De ce mariage naitront deux enfants, un garçon, Robert TRUCHASSOU (1899-1957) et Suzanne TRUCHASSOU (1900-1960).
Antoine TRUCHASSOU meurt très jeune, il a 33 ans, le 25 octobre 1902. Il était reparti dans la banlieue parisienne, à Vincennes ou après avoir repris son métier de cocher il était devenu épicier. Son fils Robert est resté dans la banlieue parisienne ou il était cafetier. Il ne s’est pas marié. Sa fille Suzanne est également restée dans la banlieue parisienne et elle non plus ne s’est pas mariée. Quant à sa femme elle s’est remariée en 1807 avec Galmier GARAT dont elle a eu un fils. Mais il faut croire qu’il y a une malédiction puisque son mari est, lui aussi, mort jeune, à 34 ans, le 20 aout 1914.