I- L’histoire des bals et des danses
Des danses de ballet aux danses de salon
Notre enfance a été bercée de ces rondes héritières des rondes, rondeaux, caroles, farandoles… qui étaient chantées et dansées au moyen âge au son du fifre et du tambourin. La ronde s’est ouverte et a donné naissance à une chaîne et en même temps elle est devenue plus petite avec de nombreuses figures. Une rupture s’opère entre les danses populaires et les danses aristocratiques.
Les rois de France, et en particulier Louis XIV, aimaient les divertissements parmi lesquels les bals occupaient une place importante. Ils étaient somptueux, ce qui n’était du gout de tous car leur coût était élevé.
Que dansait-on alors ? La danse préférée de Louis XIV était le menuet. Elle faisait partie des suites, s’intercalant entre une sarabande et une gigue. Après son introduction dans les opéras de Lully sa vogue s’amplifia rapidement. Durant tout le XVIIIe siècle, les maîtres de danse ont cherché à en conserver les règles strictes et à maintenir son caractère de danse noble. Le formalisme, la rigueur des figures fait que ces danses deviennent un spectacle pour la majorité des membres présents.
« La harpe tremble encore et la flûte soupire
Car la valse bondit dans son sphérique empire,
Des couples passagers éblouissent les yeux,
Volent entrelacés en cercle gracieux ».
Le Bal Alfred de Vigny (1797-1863)
En réaction à cet ordonnancement très strict va naître la contredanse. Elle privilégie le mouvement et préfigure la danse de couple fermée qui apparaîtra autour des années 1840 avec la valse. Elle se développe en Autriche et dans les Principautés allemandes en opposition aux danses de cour et en se dansant en couple, face à face et non côte à côte, en tournant. Cette proximité des corps fait juger licencieuse cette danse. Dans certains milieux très religieux, elle n’est acceptée, comme le boston, valse anglaise lente, que si la main de l’homme qui tient la taille de la femme est gantée. En s’imposant progressivement la valse ouvre la voie à la polka, la mazurka et plus tard le tango et la java. Ces danses deviennent les danses des salons urbains mais les campagnes vont à leur tour les adopter sans y apporter de grands changements.
Dans les Provinces, chacune a ses danses mais peu à peu elles vont sortir de leurs frontières et se répandre sur tout le territoire. Ainsi la gavotte et le passepied, rondes populaires bretonnes, la farandole et le rigaudon, danses traditionnelles de Provence et du Dauphiné. Ces dernières vont même traverser l’Atlantique et devenir des danses traditionnelles du Québec. Sans oublier la bourrée dont l’origine est indéterminée et ne se trouve pas dans la seule Auvergne et surtout pas en Limousin. Bénédicte GRAILLES et Patrice MARCILLOUX en font une danse folklorique née en 1895 à Paris*.
*Voir leur article « Fausses bourrées et vrais musiciens : si la bourrée limousine était née à Paris le 14 décembre 1895 ? » publié dans « Le Limousin, pays et identités : Enquêtes d’histoire (de l’Antiquité au XXIe siècle) » Pulim, octobre 2006.
Les bals publics et le bal musette.
Les bals publics se développent, d’abord pour fêter le 14 juillet, ou le 15 août lorsque le 14 juillet n’est plus reconnu comme le jour de la fête nationale. Ils vont progressivement prendre de l’ampleur tout au long du 19ème siècle. On en trouve une illustration dans les peintures de Renoir, en particulier son « Bal du moulin de la Galette » peint en 1876.
A partir des années 1900 on assiste à un renouveau de la danse et des bals qui se multiplieront dans les salles de café ou de restaurant, puis sur les parquets couverts, les dancings ou les « bastringues ».
C’est la naissance du bal musette, ce nom venant de la musette de la cornemuse (chabrette ou cabrette qui était utilisée par les musiciens. A Paris ces bals étaient majoritairement tenus par des Auvergnats, très nombreux dans la capitale. Ils avaient amené avec eux leurs musiques et leurs danses. Y avait-il la bourrée ? Sans doute pas si l’on en croit Bénédicte GRAILLES et Patrice MARCILLOUX dont j’ai parlé précédemment. Ils jouent des valses, des marches, des polkas…
Mais à côté des Auvergnats une autre communauté se regroupe dans les faubourgs parisiens : les italiens. Et eux, ils n’ont pas de chabrette mais un accordéon. La rivalité va être forte entre les partisans des bals auvergnats et ceux des bals italiens. Mais une autre concurrence arrive avec les musiques américaines, en particulier le jazz. Dès la fin de la Première Guerre mondiale le jazz, le swing, le fox-trot les danses américaines envahissent les salons mondains et les bals musette. Venu aussi d’Amérique, mais d’Amérique du sud le tango est introduit dans les salons parisiens juste avant la guerre et petit à petit il franchit les limites de Paris pour être introduit dans les bals de faubourgs. Les marches deviennent de plus en plus hispanisantes et se dansent en paso doble. La mazurka s’accélère et se danse de manière plus simple en java. De Cuba arrive la rumba et le mambo.
Mais la valse restait indétrônable. Les séries classiques comportaient deux valses, un tango, une polka, une java, un fox-trot, une rumba, etc.…et le cycle recommençait.
L’arrivée du Jazz
Avec l’arrivée des Américains sur le front en 1918, la France profonde va peu à peu faire connaissance avec cette musique. Le jazz déconcerte et enthousiasme tout à la fois. Assistant (en 1919) à un concert au Casino de Paris, l’artiste-écrivain Jean COCTEAU dans « Le Coq et l’Arlequin » publié en 1918, décrit un « ouragan de rythmes et de tambour » dans une salle applaudissant debout, « déracinée de sa mollesse par cet extraordinaire numéro qui est à la folie d’Offenbach ce que le tank peut être à une calèche de 70 ».
Dans les années 1930 on peut danser avec l’orchestre Marcel’s jazz de Marcel LALUE, ou celui de Christian BEAUBRUN qui propose diverses animations jazz : bals (notamment à la préfecture), mariages ou arbres de Noël. Progressivement, les jeunes s’intéressent à ce genre de musique, également diffusée à la radio. Ray VENTURA se produit plusieurs fois à Limoges, devant 2000 personnes en 1938 ; Josephine BAKER vient en 1934 et en 1938.
Jean-Marie MASSE, né en 1921, découvre le jazz à 18 ans. Il achète des disques chez LAGUENY boulevard Carnot et entre en relation avec Hugues PANASSIE, grand gourou du Hot Club de France. Le conflit mondial marque d’abord un coup d’arrêt mais, dès 1941, c’est la reprise des concerts dans les brasseries, les cafés, les restaurants, sous réserve d’autorisation préfectorale. En 1943, le jazz est officiellement interdit, mais on continue à en jouer en francisant les titres.
Des Manouches installés dans des caravanes et des roulottes au Champ Dorat ou dans l’actuelle avenue Jean Gagnant jouent du jazz. Des jeunes limougeauds viennent les écouter. A la Libération, l’orchestre de Bob DIXON anime un bal à Limoges avec ses treize musiciens. En mai 45, Hugues PANASSIE donne à son tour une conférence au Théâtre Berlioz. Le jazz retrouve droit de cité, au Café Riche, au Central, au Faisan…Des musiciens vont se faire un nom comme Georges SUCHOT à la guitare qui ouvrira un commerce d’instruments. Plusieurs orchestres jouent du Jazz, Alex COSAI et son quintette, Camille LAROTTE, qui joue au Lion d’Or, l’orchestre CARENZI…
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les bals sont interdits par le régime de Vichy. Naturellement, ils connaissent un regain de popularité à la Libération. On laisse éclater sa joie et sa rage de vivre et on danse partout. Les bals musette sont à leur apogée. Ils incarnent la France et la musique populaire.
Les accordéonistes célèbres deviennent des stars : André VERCHUREN, AIMABLE, Yvette HORNER, Louis CORCHIA, Maurice LARCANGE, Bruno LORENZONI pour les plus connus.
En 1954, le Cha-cha-cha, un dérivé du mambo est introduit dans le répertoire des bals musette. Les marches, polkas, scottishs…tombent en désuétude pour laisser la place au rock ‘n roll qui devient à la mode.
Le bal du samedi soir n’est plus celui où la jeune fille venait accompagnée de sa mère ou de sa tante. Les jeunes viennent seuls et ils veulent s’amuser. Ils veulent écouter les mêmes morceaux que ceux qu’ils écoutent sur leur électrophone ou qu’ils entendent à la radio. Depuis 1951, année ou Pathé-Marconi fabriqua le premier disque microsillon 45 tours les ventes ont explosées. Eddie BARCLAY qui avait le premier importé des électrophones des États-Unis, créé sa propre firme d’édition musicale et devient le « roi de la nuit ».
Au bal ils veulent retrouver les sons qu’ils écoutent à la radio ou à partir de leur électrophone. Les orchestres vont s’équiper de sonorisation de plus en plus puissante, augmentant de ce fait les coûts d’organisation des bals. Plus le matériel devient volumineux plus il leur faut des véhicules capables de le transporter. Fini le temps ou le « violoneux » arrivait sur son vélo, son violon en bandoulière.
A partir de la fin des années 1960, le genre musette régresse à la fois à cause de l’emprise croissante des musiques anglo-saxonnes, de l’arrivée des amplis et des synthétiseurs qui relèguent les musiciens du musette au rang de « ringard ». Les boites de nuit supplantent peu à peu les bals qui disparaissent au début des années 1980 pour revenir sous forme de thés dansants dans les années 2000.
Pour aller plus loin :
Yves GUILCHER, La danse traditionnelle en France : d’une ancienne civilisation paysanne à un loisir revivaliste, FAMDT Editions, nouvelle édition 2001
II- Les bals et les danses à Nexon
Comme cela se passait en Limousin et en Périgord, les veillées, les batteuses, les mariages devaient être égayés par des chants et des danses. Mais nous n’avons pas de traces pour Nexon de ces événements.
Dès la fin du XIX siècle, et beaucoup plus tôt en Périgord, les organisateurs des comices agricoles eurent l’idée d’ajouter une fête au comice. Dans cette fête, parmi les jeux et les feux d’artifice il y avait un bal.
Il devait y avoir à Nexon des joueurs de chabrette, d’autant plus que Saint Yrieix était considérée comme un point central de ce qu’on peut appeler une école de chabretaires. Éric MONTBEL, co-organisateur en 1999 de l’exposition « Souffler c’est jouer : chabretaires et cornemuses à miroirs en Limousin », présentée au Musée National des ATP de Paris et à St Yrieix la Perche, recense dans le catalogue de l’exposition, une trentaine de chabretaires dans le pays de Saint Yrieix avant 1914, mais aucun de Nexon. Il n’y a pas non plus de concours organisé à Nexon à la fin du XIX, au moment où les « concours de ménétriers » se développent en Haute-Vienne et en Corrèze. Les premiers concours sont organisés en 1892 à Saint-Junien puis à Limoges, Saint-Yrieix, Chalus… et à Nexon le 13 septembre 1900, jour de la Fête patronale avec le concours « Musettes, vielles et accordéons ». On en retrouve un autre le 21 septembre 1908, toujours à l’occasion de la fête patronale avec le titre « Musettes, accordéons, danse, barbichets », puis le 16 mai 1909 « Musettes, accordéons, danse » et enfin le 23 septembre 1912, de nouveau pour la fête, « Musettes, accordéons, danse ». On a donc quitté le bal pour entrer dans le folklore et la représentation.
Revenons aux bals. Il y avait dans toutes les communes un bal du 14 juillet. Il est devenu quasi automatique à partir de 1879, année de la commémoration du centenaire de la prise de la Bastille. Mais il y a surtout des bals privés organisés par les cafés qui possèdent de grandes salles.
A Nexon la plus grande salle est celle du Café de la Promenade avec son balcon. On y danse le quadrille, la valse, la polka, la scottish… au son d’une musique jouée par un orchestre composé de quatre musiciens, toujours un pianiste, deux violons et un saxophone. Le Café possédait également un piano harmoniphone*. Cette belle salle accueillait d’autres spectacles que les bals et concerts. Ainsi le 18 juillet 1920, Le Populaire du Centre annonce pour le même soir : « Soirée récréative. — Dimanche 18 juillet, café de la Promenade, l’excellent professeur Léonce DHORMOY, donnera une intéressante séance de prestidigitation. Nous pouvons assurer que cette soirée sera des plus intéressantes étant donné l’habileté et l’art consommé de Léonce Dhormoy. Les intermèdes seront remplis par Gaston DUBLUS, un comique qui sait faire rire les plus moroses. Prix d’entrée : premières, 2 fr. secondes, 1 fr. — La locution est ouverte. »
*L’histoire de l’harmoniphone commence le 14 août 1891 lorsque Pierre-Louis-Alphonse Rodolphe, 15 rue de Chaligny à Paris, dépose une demande de brevet d’invention de quinze ans pour « un nouveau système de casier harmonique applicable à l’instrument à anches libres dit harmoniphone ». Ce brevet est délivré le 30 septembre 1891. Ce système a pour but d’atténuer au maximum les harmoniques des jeux les rendant ainsi beaucoup plus ronds mais aussi plus sourds.
Après la fin de la guerre, dans les années 1920, l’accordéon va s’imposer au détriment du violon. On danse également dans les cafés les jours de foire. Ceci perdurera jusqu’à la disparition des foires, ce qui entraînera une baisse d’activité importante pour les cafés et restaurants.
Le Populaire du Centre du 27 novembre 1919, annonce que « Le banquet des anciens combattants de la commune de Nexon aura lieu le 7 décembre, à midi, à l’hôtel Bourdeix, et le bal aura lieu le même Jour, à huit heures du soir, au café de la Promenade. »
En 1921, le bal des conscrits a lieu au « café de la Promenade ». On constate qu’il n’y a pas de nom d’orchestre, celui-ci commence à être donné dans les années 1930 et la pratique deviendra systématique au milieu des années 1950. On notera également que le bal a lieu un dimanche, le 27 mars 1921, à 7 heures du soir.
La presse mentionne une bagarre dans un bal à Nexon, salle Buisson, en 1924. Aucun des inculpés à la suite de la bagarre sont originaires de Nexon. Voici le compte rendu de l’audience du Tribunal correctionnel de saint Yrieix du jeudi 23 avril 1925 : « Le 16 décembre 1924, une rixe éclata au bal tenu par M. BUISSON, aux Landes, commune de Nexon. Cinq jeunes gens sont inculpés, ce sont les nommés Barget Léonard-Louis, 24 ans, né à Saint-Paul-d’Eyjeaux ; Robert François, 36 ans, né à Saint-Hilaire-les-Places ; Robert Paul-Jean, 20 ans, né à Saint-Hilaire-les-Places ; Faucher François, 28 ans, né à Pierre Buffière, et Chausse Joseph. 18 ans, né à Coussac-Bonneval. Le tribunal condamne les prévenus, savoir : Barget Léonard, 25 francs d’amende et sursis ; Robert François, 24 heures de prison et sursis et 100 francs d’amende ; Robert Jean, 50 francs d’amende et sursis ; Faucher François, 15 francs d’amende et sursis; Chausse Joseph, 16 francs d’amende et sursis ». (Le Populaire du Centre, 26 avril 1925)
Je n’ai pas trouvé de traces de violoneux nexonnais. Ils sont nombreux à avoir laissé un souvenir en Corrèze et les musicologues ont pu enregistrer certains de leurs morceaux. Un travail remarquable a été fait par Françoise ETAY, professeur au Conservatoire de Limoges et présidente de l’Association des enseignants de musique et danse traditionnelles dans son mémoire de maîtrise en 1983, « Le Violon Traditionnel en Limousin ». Elle cite 98 violoneux en Corrèze, 14 en Haute Vienne et 9 en Creuse. Aucun n’est proche de Nexon. Ils habitent à Saint Léonard, Ambazac, Le Palais … Aujourd’hui ces communes nous semblent proches mais jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale les musiciens se déplaçaient presque tous en vélo, le violon en bandoulière. Il est peu probable qu’ils soient venus à Nexon. Le seul qui a peut y jouer pourrait être Henri GAYOT, un violoneux de St-Léger-la-Montagne qui aurait vécu dans la région de Bussière-Galant.
Au début des années 1950 il y a 8 salles de bal à Nexon :
- 3 salles sont dans le bourg. On trouve, Chez DUMONT, avenue de la gare ; la salle CHARREIX, place du marché et la salle PAUL FAURE, rue P et M Curie.
- 2 salles à la gare, l’une à l’hôtel BEYRAND et l’autre au NOUVEL HOTEL.
- 2 salles aux Landes, chez BUISSON et chez MALARDEAU.
- 1 salle au Plantadis, chez DUVERNEIX.
Avant les années 1950 il est rare que pour les bals on donne le nom de l’orchestre. On indique « bal avec un grand orchestre ». Lorsque le nom de l’orchestre est cité c’est qu’il s’agit d’un orchestre avec un nom qui tranche avec celui des accordéonistes locaux. Ainsi les années 1930 vont voir fleurir les orchestres de jazz. Cette musique est arrivée en France avec les soldats américains et elle a plus aux jeunes.
On trouve l’annonce d’un bal le dimanche 4 octobre 1936, chez DUPUYDENUS à la gare, avec l’orchestre Marcel «R» Jazz.
Les années 1950 vont voir le développement des « parquets » démontables, véritables salles itinérantes louées par les organisateurs. Ces salles étaient recouvertes de bâches ou de tôles, ce qui en faisait des fournaises l’été et des glacières l’hiver. Des bancs entouraient la piste de danse. A Nexon le parquet « Le Moulin Rouge » de M. BEYLIER était systématiquement utilisés pour les fêtes patronales, à Pâque et en septembre, même après la construction de la salle des fêtes. Ces parquets ont profité du fait que de nombreuses salles n’étaient pas conformes aux nouvelles normes de sécurité.
On peut s’étonner que la salle des fêtes n’ait pas été utilisée plus fréquemment pour les bals. La raison est qu’elle était principalement consacrée aux séances de cinéma. Tous les samedi soir et les dimanches après-midi un film était proposé aux amoureux du cinéma. La télévision ne diffusait alors qu’une chaîne en noir et blanc ne proposant pas de film avant qu’ils n’aient été exploités pendant deux ans en salle. Ajoutons que la commune ne voulait pas entrer en concurrence avec les propriétaires de salles.
Que ce soit pour les parquets, les salles privées ou les salles des fêtes le contrôle aux entrées à Nexon comme pour tous les bals à la campagne, s’effectuait par un tampon apposé sur la main. C’était le laissez-passer pour la soirée permettant d’entrer et de sortir pour aller à la buvette ou aux toilettes. Les petits malins avaient mis en place un système de fraude ingénieux. Le premier du groupe entrait et ressortait quelques minutes après rejoindre ses camarades dans un coin obscur. Là, ils examinaient le tampon et essayaient de la reproduire avec un bouchon de liège et un tampon encreur. Il fallait avoir plusieurs jeux de couleurs car les organisateurs ayant découvert la manœuvre utilisèrent des encres rouge, vert, bleu et des marques de plus en plus sophistiquées mais quand ils étaient submergés par la foule, les contrôleurs n’avait pas toujours la possibilité de déceler les fausses marques.
L’Amicale sportive est une des premières associations à utiliser la salle des fêtes. Deux bals sont organisés chaque saison, parfois trois comme en 1963. Cette année-là un premier bal a lieu le samedi 3 février avec l’orchestre René LOUIT. Le bal suivant a lieu le 8 juin, toujours avec René LOUIT et le dernier le 10 novembre.
Un bal classique était le bal des pompiers. Il s’inscrivait dans la logique des bals de société ou les danseurs étaient plutôt d’âge mur. Ce n’est pas le public que l’on rencontre quelques années après dans la majorité des bals ou le public est très jeune. Pour satisfaire les danseurs, les pompiers font appel à des orchestres habitués des salles des grands hôtels de Limoges, Le Faisan », « la Paix » ou le « Lion d’or » comme celui de Camille LAROTTE pour le bal du 8 décembre 1963.
Lorsque les jeunes du baby-boom ont l’âge d’aller au bal, au milieu des années 1960, le public des bals du samedi soir devient subitement beaucoup plus jeune. Les anciens orchestres sont « ringardisés ». De nouveaux orchestres naissent comme celui de Roland DUBREUIL puis celui d’ERIC ERDAY. Le nombre des bals augmente, de nombreuses associations trouvant là un moyen d’accroître leurs recettes. A côté des traditionnels bals pour la frairie, à Pâques et en septembre et du tout aussi traditionnel bal des conscrits on va avoir le bal du foot, souvent deux par an, le bal des pompiers, le bal des prisonniers, le bal de la chasse, le bal des anciens combattants, le bal de la croix rouge…
Les jeunes qui sont de plus en plus nombreux à fréquenter les bals le samedi soir ne sont pas tous des danseurs émérites. Ils rentraient dans la salle quand ils entendaient l’orchestre entamer la série des slows. C’était alors la longue file des garçons qui étaient venus sans leur compagne à la recherche de la cavalière. Il y avait beaucoup de refus car les jeunes filles savaient que l’obscurité liée à l’extinction des lumières et la densité des danseurs favorisait le rapprochement des corps. Les mains trop baladeuses n’étaient pas toujours appréciées. C’est ce que traduit avec beaucoup de réalisme le fameux sketch joué en 1972 par Guy BEDOS et Sophie DAUMIER, « La drague ». Les premiers échanges donnent le ton :
« Sophie DAUMIER : Qu’est-ce qui est collant ce type – J’dis rien parce que je n’veux pas faire de scandale – Mais alors quel pot de colle ! – Y s’fait des idées ou quoi ? – J’ai accepté de faire cette série de slows avec lui – Pour pas faire tapisserie d’vant les copines – Mais alors… j’en vois plus l’bout !
Guy BEDOS : Mine de rien j’suis en train d’emballer moi ! – J’emballe, j’emballe sec – Allez ! vas-y Jeannot ! Attaque ! Attaque ! Ça marche ! Ça marche ! – Accroche-toi Jeannot ! La nuit est à nous… »
Quand il n’y avait pas de bal à Nexon il y en avait un à moins de 10 kilomètres, à La Meyze, aux Cars, à Flavignac, à Meilhac, à Rilhac…Dans les années 1950 -1960, les jeunes y allaient en Mobylette, par groupes de trois ou quatre, chacun prenant en passager ceux qui n’avaient pas la chance d’avoir de moyen de locomotion. Dans ce cas il fallait éviter les gendarmes car, bien que ces cyclomoteurs soient équipés de selles biplaces et de reposes pieds, il était interdit d’avoir un passager.
Dès la fin des années 1960 les 2CV et autres 4L ont remplacé les Mobylettes. Le champ d’action s’élargissait et on pouvait aller au bal à Chalus, Cussac ou Limoges. C’est une époque dorée pour les musiciens. Les orchestres vont se professionnaliser et de ce fait coûter de plus en plus cher. Les organisateurs doivent remplir les salles. Il faut faire connaître son bal. Bien sûr il y a la presse locale mais le moyen le plus efficace est l’affiche. S’organisent alors, trois semaines avant le bal, les tournées d’affichage. Armées de pots de colles et de pinceaux des équipes partent à la tombée de la nuit coller des affiches sur les panneaux de tous les villages, en déposent dans tous les cafés sans trop s’attarder au bar ! Il n’y a pas encore d’éthylomètre et plus d’un est rentré fatigué après une épuisante tournée de collage.
Et puis il fallait faire venir les limougeauds. Pour cela l’organisateur louait un car qui partait de la place du champ de foire à Limoges. Il fallait qu’un garçon a la voix tonitruante soit de la partie afin de pouvoir convaincre les jeunes de monter dans le car pour Nexon et non dans celui pour Ambazac ou saint Léonard… En fait beaucoup de jeunes choisissaient plus l’orchestre que le lieu. Chaque orchestre avait ses groupies. Peu à peu, avec la motorisation de la jeunesse ces cars ont été abandonnés car ils ne drainaient plus grand monde…
Les orchestres qui jouent à Nexon
De nombreux orchestres nationaux, plus rarement, et des orchestres régionaux animent les bals à Nexon dès la fin de la deuxième guerre mondiale. On trouve André DEXET, René DELOUTRE, Roland DUBREUIL, ERIC ERDAY, Jean Claude FAUGERAS, les frères LAVERGNE qui mettront un terme à leur activité en 1980, Lucien LANSADE de Masseret, René LOUIT, Roger PERYERAS, accordéoniste, chef d’orchestre et professeurs de musique réputé à Limoges… André VERCHUREN, l’accordéoniste français qui a vendu le plus de disques, mais aussi Yvette HORNER, Mario CAVALLERO sont venus à Nexon tout comme le corrézien Jean SEGUREL ou le périgourdin Marcel DEBERNARD.
En 1965 l’association des chasseurs décide d’organiser le premier bal des chasseurs. Il a lieu le 22 janvier 1966, salle Charreix avec l’orchestre Miguel FLORENCIO. Devant le succès remporté une grande nuit de la chasse a lieu à la salle des fêtes le 14 juillet 1966, toujours avec l’orchestre de Miguel FLORENCIO. En 1968, le 24 février et le 14 septembre c’est l’orchestre parisien de Mario CAVALLERO avec la chanteuse Lili Montes qui animera le bal des chasseurs.
Le programme du Comité des Fêtes pour 1972 montre l’importance que revêtaient encore les bals :
Bal d’hiver le 5 Février avec Gil MAZEAU -Gala Inter-Danse JO DAUNAT- ORTF-
22 Avril avec Harry WILLIAMS, fils d’André VERCHUREN
Fête de Pentecôte les 20,21,22 Mai avec Christian AUZEL et Eric ERDAY
11 Juin, une surprise !!! de l’inédit à NEXON, « un gros pavé dans la mare », n’en disons pas plus pour l’instant.
21 Juillet Bal avec Eric ERDAY
22 Juillet : Grand Gala de variétés avec André VERSCHUREN
5 Août, bal des vacances avec Eric ERDAY
Fête des 22,23 et 24 Septembre avec les ensembles de Max Alan et Eric ERDAY
16 Décembre, Marcel DEBERNARD.
Un programme comparable était proposé en 1973:
10 Février……….: Marcel DEBERNARD
05 Mai…………..: Harry WILLIAMS
19 et 20 Mai…. : Fête patronale avec Gil MAZEAUD et PEYRIERAS
02 Juin …………: Les Compagnons de la chanson
21 Juillet ……….: Emile GARRY
04 Août …………: Eric ERDAY
22 Septembre …: Fête patronale avec J.P. SALVAT et Eric ERDAY
31 Décembre …..: Eric ERDAY
Au total 15 bals ont été organisés à la salle des fêtes en 1973.
Dans un rayon de 20 kilomètres autour de Nexon, pendant les années 1970-1975 cinq orchestres assurent plus de la moitié des bals du samedi soir : Roland DUBREUIL, Eric ERDAY, Jean Claude FAUGERAS, Roger PEYRIERAS, les frères LAVERGNE.
Le Populaire, 10-11 août 1974
Quelques orchestres parmi les habitués à Nexon.
Le premier, surtout dans les années 1945-1965, était RENE LOUIT. Derrière ce nom de scène se cache un voisin puisqu’il s’agit de R. CANARD de Saint Hilaire les Places. Son frère André était secrétaire de mairie à Nexon.
Plus tard la véritable star des bals de campagne a été Roland DUBREUIL. Il est invité par l’A.S.N. pour son bal du 12 mars 1966. C’est le début d’un long amour avec les jeunes puisque pendant plus de vingt ans il animera chaque année plusieurs bals à Nexon. Il est presque du pays. Il habite à l’Aiguille, il offre facilement sa tournée au bar et ses fidèles sont assurés de pouvoir danser avec lui tous les samedis dans un rayon de 30 kilomètres.
Roland Dubreuil
L’Orchestre de Jean-Claude FAUGERAS connu pendant dix années de la grande époque 1966 à 1976 un succès lié à la qualité de sa musique. Il n’avait pas la gouaille de Roland Dubreuil, ni la « gueule » d’Eric Erday mais il remplissait les salles. Il devint organisateur de bals de 1976 à 1981 et en 1981 il a créé la discothèque ‘LE MANUREVA’ qu’il a tenu jusqu’à sa fermeture en 2009.
Roland DUBREUIL a eu, au début des années 1970, une rude concurrence avec l’arrivée d’un jeune limougeaud, Georges DELOUTRE. Né derrière la gare des Bénédictins, le jeune Georges a été bercé par l’accordéon de son père, René DELOUTRE. Il commence sa carrière dans l’orchestre de son père et en 1968 il décide de voler de ses propres ailes. Il crée son orchestre et le nomme ERIC ERDAY, RD, les initiales de son père.
Dans son orchestre il a des noms connus dans le monde de la musique. Au piano Pat GIRAUD, aujourd’hui considéré comme l’un des grands organistes de jazz, à la guitare Jean-Paul SOURISSEAU, qui deviendra par la suite directeur de France Bleu Limousin, à la batterie Jean-Marc LAJUDIE qui ouvrira en 1971 son centre de formation et comme chanteur Pat HARRISSON. Derrière ce pseudonyme se cache Patrick HERNANDEZ. Il chante ses compositions parmi lesquelles Born to be alive. Mais ce titre ne deviendra un succès mondial qu’en 1978 après avoir remixé en Belgique.
Dans son livre de mémoires, Alive, Patrick HERNANDEZ raconte son arrivée dans l’orchestre d’ERIC ERDAY amené par son « pote Jean ; Paul SOURISSEAU… « Cette formation au répertoire archi classique rencontrait un grand succès auprès de la population autochtone, particulièrement au sein de la gent féminine en raison du physique avantageux du chef d’orchestre…Tous les weekend , je faisais le trajet Périgueux-Limoges dans la somptueuse jaguar de mon ami guitariste…L’ambiance était bien moins potache que dans mes précédents orchestres. C’était l’esprit « baluche » dans toute sa splendeur : pas de fantaisie, des costumes désuets, des fonctionnaires du bal qui se prenaient au sérieux…Si ERIC ERDAY se révéla plutôt ouvert sur le choix des morceaux à interpréter, les autres l’étaient beaucoup moins. A l’exception de Jean Paul et du clavier Patrick GIRAUD, le reste de la formation partageait peu mon gout pour la pop. Quant à leur technique musicale, elle se révéla d’un moins bon niveau que mes précédents orchestres. …Ce fut la première et la dernière fois de ma carrière ou j’eus vraiment l’impression de faire du bal au sens strict. » Patrick Hernandez, Alive ! Mareuil Editions, 2016
On comprend qu’après cette critique acerbe il quitte l’orchestre à la fin 1972. Heureusement les centaines de jeunes qui se pressaient aux bals d’ERIC ERDAY n’avaient pas le même sens critique que Patrick HERNANDEZ. Les trésoriers des associations organisatrices de ces bals, et j’en étais, se frottaient les mains à la fin du bal, même si les cachets exigés ont connu une inflation galopante.
La fin des bals de campagne.
Au début des années 80, les bagarres deviennent fréquentes dans les bals. Les jeunes les désertent pour aller dans les boites de nuit, les discothèques qui se sont créés à la sortie de Limoges comme Le moulin des Cendrilles, la Locomotive… Progressivement il va s’en ouvrir dans les campagnes. Les bals du samedi sont morts.
Aujourd’hui la danse revient sur le devant de la scène et retrouve ses lettres de noblesse. Le succès de l’émission « danse avec les stars » en atteste. La salsa, les danses country et folk, les thés dansants sont devenus une autre forme de loisir.
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