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« Métayage ou Fermage ? » un article de Georges de Nexon, ingénieur agronome en 1946

C’est le titre d’un article écrit par le baron Georges de Nexon qui a été publié en 1946 par le Centre d’Etudes des « Questions Actuelles » . Merci à M. Christian GESLIN de m’avoir donné ce document.

Quand j’ai lu cet article je me suis retrouvé plus de 50 ans en arrière quand j’étais étudiant à l’Université de Bordeaux, en DEA, c’est à dire le Master 2 actuel. J’avais choisi comme sujet de mémoire « Le modèle de développement agricole de françois QUESNAY » et mon directeur était le Professeur André GARRIGOU LAGRANGE. C’était un remarquable professeur, un grand bourgeois qui nous recevait dans son salon, toujours disponible pour ses étudiants. Il a André a relevé le nom de DAVID de LASTOURS qui se trouve maintenant accolé à GARRIGOU-LAGRANGE (Tribunal d’Angoulême le 31-12-1924).

Son père, Paul GARRIGOU LAGRANGE était un chercheur météorologue très connu qui avait fait construire un observatoire dans son parc à Limoges situé dans la rue qui s’appelle aujourd’hui « rue de l’observatoire Garrigou Lagrange ».

L’Observatoire de M. Paul GARRIGOU LAGRANGE

L’observatoire fut inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en mai 1978. Sa préservation paraissait assurée. Mais son déclassement a été obtenu quelques mois après par la société ROUCHAUD LAMASSIAUDE, en théorie pour agrandir son usine. Malgré la réaction des sociétés protectrices du patrimoine, le déclassement et la démolition furent plus rapide que les tribunaux et le 23 mars 1979 il ne restait qu’un tas de décombres de l’observatoire !

Pourquoi ce détour par Bordeaux et Limoges ? Parce que mon travail de recherche puis les cours que j’ai dispensés en sciences économiques à Limoges ont porté en partie sur la question que pose Georges de NEXON.

François QUESNAY dont j’ai parlé était un brillant médecin pendant les années 1730 – 1750 à la fois médecin de Mme de Pompadour et de Louis XV qui, ayant été anobli s’est posé la question de la meilleure manière de gérer le domaine que son titre lui avait permis d’acquérir. Ses réflexions qu’il publie à partir de 1750 en font pour moi, mais je ne suis pas le seul, le premier vrai économiste du monde moderne. Le débat sur fermier ou métayer est au cœur de la question de la production et de la répartition de son produit. Dès que le producteur n’est pas seul à produire et qu’il emploie de la main d’œuvre il se demande quelle rémunération il doit accorder à celui qui contribue à la production. Les différentes sociétés sont passés de l’esclavage au servage puis au salarié et dans l’agriculture du domestique au métayer puis au fermier. dans le cas du métayer c’est un partage de la récolte alors que le fermier verse un loyer. QUESNAY en 1750 se posait la question de savoir quel mode d’exploitation assurait le revenu le plus élevé pour les deux, propriétaire et exploitant. Avec le développement du progrès technique et de la mécanisation il fallait savoir qui devait financer l’investissement. Georges de NEXON ne s’appuie pas sur les théoriciens de l’économie qui depuis QUESNAY en passant par MARX jusqu’au Prix Nobel J. STIGLITZ ont analysé la répartition de la rente entre les différents acteurs de la production et la juste répartition entre la travail et le capital.

Voici le texte de Georges de NEXON :

La position de Georges de NEXON est celle du métayage. Pour avoir interrogé M. PAUZET qui a été métayer chez M. de NEXON cette position s’explique par un comportement de ce propriétaire différent de celui des autres propriétaires. En effet M. PAUZET m’a répété plusieurs fois que du jour où sa famille est entrée comme métayer au domaine de la Garde ils n’ont plus jamais eu faim. Il m’expliquait que ses parents ont eu des propriétaires qui ne facilitaient pas le travail des métayers et qui exerçaient un contrôle permanent et suspicieux, considérant par principe que le métayer était menteur et voleur.

Les conflits entre propriétaires et métayers étaient fréquents, tout n’était pas prévu dans les baillettes dans la mesure ou, surtout au XIXe siècle beaucoup de métayers ne savaient ni lire ni écrire. le ramassage du bois mort, des châtaignes, des fruits tombés au sol … étaient sources de contentieux de même que l’utilisation des charrettes en dehors de l’exploitation, la vente du bétail…

Voici la baillette de M. PAUZET signée le 5 mai 1935 pour une exploitation à partir du 1er novembre 1935. Si l’article 1 considère que le colon doit gérer « en bon père de famille » l’article 2 concerne les charrois. L’article 3 est relatif au bois, avec l’interdiction de couper un arbre sans autorisation et de ne prendre que le bois de chauffage qui lui aura été désigné. Rien n’est écrit sur les investissements et les innovations possibles.

Pour une analyse très fine du métayage en Haute-Vienne lire l’article de Dominique DANTHIEUX « Métayage et grande propriété foncière dans le département de la Haute-Vienne : entre utopie sociale et innovation agricole (fin 19e-début 20e siècle) » dans Ruralia, Revue  de l’Association des ruralistes français n°14 -2004. Il montre que le développement de l’élevage de la race bovine limousine et celui des cultures qui lui sont associées qui ont été favorisés par les grands propriétaires, comme les de NEXON, ont permis aux métayers d’être des agents du changement et souvent de devenir à leur tour propriétaires, même si cela ne concerne qu’une partie des métayers. Sans aucun doute ceux du baron Georges de NEXON en font partie et ils confortent la conclusion générale de Dominique DANTHIEUX « Le métayage tel qu’on le pratique en Haute-Vienne est vanté non parce qu’il se fait le garant d’un ordre social traditionnel mais bien parce qu’il a permis à une frange de la paysannerie de prétendre par son travail et sa valeur propre à la propriété. »

Merci à Chantal, fille de M. PAUZET pour les baillettes.

Création du syndicats des cheminots de Nexon en 1930

A sa création la gare de Nexon était située sur une des lignes de la compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans (P.O.). C’est l’une des cinq grandes compagnies privées de chemin de fer qui se partagent le réseau en France. Elle a été créé le 13 août 1838 pour exploiter la ligne de Paris à Orléans et ses embranchements que l’Etat a concédés à Casimir LECONTE (1796-1867) pour 70 ans.

I- De la Compagnie d’Orléans à la SNCF

La première mise en exploitation de la ligne date du 20 septembre 1840, mais elle ne dessert alors que Corbeil via Juvisy. La ville d’Orléans n’est atteinte que le 2 mai 1843.

En 1852, la Compagnie d’Orléans absorbe la Compagnie du chemin de fer de Tours à Nantes puis, par rachat et concessions, elle met en service les lignes Paris-Bordeaux en 1853, Paris-Clermont-Ferrand via Bourges en 1855 et rachète la Compagnie du Grand Central avec ses lignes du sud-ouest et du Massif central.

L’ouverture au trafic du tronçon Paris-Orléans fut suivie d’Orléans-Vierzon (20 juillet 1847), Vierzon-Châteauroux (15 novembre 1847), Châteauroux-Argenton-sur-Creuse (2 mai 1856) pour arriver à Limoges le 2 juin 1856.

La ligne Limoges-Périgueux par Nexon a été mise en service le 26 août 1861 et celle de Limoges à Brive via Nexon le 20 décembre 1875.

Du fait de la forte croissance du trafic, la première gare d’Austerlitz mise en service le 20 septembre 1840, va vite devenir trop petite. Elle est agrandie en 1846 mais rapidement il devient nécessaire d’en construire une nouvelle.  Elle se caractérise par sa grande halle métallique dont les fermes reposent sur les principes de Camille Polonceau (1813-1859), ingénieur inventeur de l’architecture métallique qu’utilisera par la suite Gustave Eiffel.

Achevée peu avant le début de la guerre de 1870, la grande halle, désertée par les trains, sera utilisée comme atelier de fabrication de ballons à gaz.

La concurrence entre les Compagnies et celle de plus en plus forte de l’automobile va entraîner des déficits croissants. la crise économique qui a débuté en octobre 1929 ne va faire qu’accélérer le phénomène et laisser apparaître une faillite économique du système.

Le 31 août 1937, une convention crée la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), société d’économie mixte dont l’Etat détient 51% du capital et les anciennes compagnies 49 %. La convention entre en vigueur le 1er janvier 1938. A partir de cette date la SNCF exploite toutes les lignes, celles appartenant jusque-là aux cinq grandes compagnies et celles du réseau d’Alsace-Lorraine et du réseau de l’Etat.

Le Populaire 1er septembre 1937

La Compagnie d’Orléans a transféré son réseau, dont elle reste toujours concessionnaire, à la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) et devient une compagnie financière.

II – Le syndicalisme cheminot national

Avant la reconnaissance du droit syndical par la loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884 avaient été créées des organisations comme la Société fraternelle des mécaniciens français ou l’Association des employés des chemins de fer français mais elles avaient du mal à se développer malgré l’appui de députés comme Charles Alfred de JANZE (1822-1892) qui menèrent une lutte contre les pratiques des compagnies de chemin de fer.

Le premier syndicat professionnel des employés des chemins de fer fut créé en 1884 par un chef d’exploitation, PETIT, qui en fut le président jusqu’en 1893. Opposé à la grève ce syndicat devint vite réformiste aussi le mécanicien GUIMBERT le quitte pour fonder en 1885 le Syndicat général professionnel des mécaniciens et chauffeurs, conducteurs de machines à vapeur.

En aout 1890 la création de la Chambre syndicale des ouvriers et employés de chemins de fer donna un véritable élan au syndicalisme cheminot. Elle élabore un programme revendicatif sur la réglementation et la durée du travail, les retraites, la nationalisation des chemins de fer… En avril 1895, elle changea de nom et devint le Syndicat national des chemins de fer qui rallia la CGT dès sa création au congrès constitutif de Limoges en septembre 1895.

La grève de 1910. Affiche de Jules GRANDJOUAN (1875-1968)

Entre les deux courants opposés, l’un réformiste et l’autre révolutionnaire se développe une voie centriste qui conduit le Syndicat national à regrouper en 1909, près de 60 000 adhérents répartis dans environ 250 syndicats locaux.

Au cours de cette période de nombreux syndicats virent le jour, limités souvent à un métier, une région ou une compagnie.

Les conditions difficiles engendrées par la guerre de 1914 – 1918 conduisent à un regroupement qui s’opère en février 1917 et donne naissance à la Fédération nationale des travailleurs des chemins de fer de France, des colonies et pays de protectorat, affiliée à la CGT. Elle publie « la Tribune des Cheminots ».

Par la suite des scissions et de nouvelles créations virent le jour certains refusant l’adhésion à la CGT, d’autres choisissant une voie réformatrice, d’autres une vision catégorielle.

En 1920 un grève éclate pour un motif anodin : la mise à pied d’un cheminot qui était allé assister à une réunion syndicale pour laquelle il n’avait pas obtenu l’accord de sa direction. Le 19 février 1920, 1 600 cheminots de Villeneuve-Saint-Georges arrêtèrent le travail. En quelques jours la grève s’étend à tout le réseau PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) et le 29 février elle devient une grève générale des chemins de fer qui cessera le 3 mars dans la majorité des régions tandis que les cheminots de Limoges la continuèrent jusqu’au 5 mars.

Le Populaire 29 février 1920

L’Union des syndicats de l’Orléans donne l’ordre aux syndiqués de la ligne de cesser immédiatement le travail. Cet ordre s’adresse, entre autres, au syndicat de Nexon.

Le Populaire 29 février 1920

La grève recommencera le 1er mai et se termina le 28 mai sur un échec, avec pour conséquence la révocation de 18 000 cheminots.

A Limoges, le Populaire soutien la grève et annonce qu’elle est suivie par 95% des cheminots tandis que le Courrier du centre publie une liste de trains qui circulent. La CGT annoncent que ces trains ne circulent pas et fustige Le Courrier du centre dans un communiqué que reprend Le Populaire.

Le Populaire 3 mai 1920

III – Le syndicat des cheminots de Nexon

Lorsque le syndicat se crée à la gare de Nexon il prend le nom de « Syndicat des travailleurs des Chemins de fer de l’Orléans à Nexon ». Il adhère à l’Union des Syndicats des Chemins de fer de l’Orléans, à la Fédération Nationale des Travailleurs des chemins de fer et à l’Union des Syndicats de la Haute-Vienne.

Ses objectifs sont la défense des intérêts professionnels et économique des adhérents et notamment « la nationalisation des chemins de fer » (article 2).

Le syndicat se divise en sections techniques relatives à l’exploitation, la traction et la voie. A Nexon la section Traction n’est pas créée.  Elles sont chargées d’élaborer les revendications propres à leur service et sont dirigées par un secrétaire et un secrétaire adjoint. Le syndicat est administré par un Comité élu en assemblée générale, celle-ci nommant son Secrétaire général. Ce comité se réunit une fois par mois.

Le document ne comporte pas la date de création du syndicat mais il comporte toutes les revendications portées par la Fédération nationale depuis 1920, on peut donc penser qu’il a été créé autours de 1920. La composition du bureau qui y est inscrite peut nous donner des pistes.

Les statuts types de la Compagnie d’Orléans prévoyait un Comité composé de 33 membres. A Nexon ce Comité a été réduit à 7 membres, sans doute pour tenir compte des effectifs affectés à la gare de Nexon qui sont d’environ 80 personnes.

Le Secrétaire, Pierre LAFLAGNIERE, est né en 1879. Il n’est pas le plus âgé , c’est le trésorier, Georges TRAPLOIR qui, né en 1868, est le doyen d’age. parmi les 7 membres du comité Jean MOUNOZ, né en 1874 est le plus âgé et Louis FOUJANET, né en 1882 est le plus jeune. Jean CELERIER est né en 1876, Justin BEAUPUY en 1877, Pierre GAUCHER est né en 1880 comme Pierre BEAUDOU et Antoine OUZEAU en 1882.

Le seul nexonnais est un des contrôleurs, Jean NOUAILHAS, né à Nexon le 6 octobre 1889 de parents cultivateurs à Biard. Il est le plus jeune de tous les membres du bureau. Les deux autres, Jean JAMET et est né en 1878 et Joseph LAFON en 1881.

Au total trois membres du bureau sont nés dans le canton de Nexon, deux sont nés en Haute-Vienne, quatre en Dordogne, un en Corrèze, un dans le Loir et Cher et un dans le Lot.

Le travail des enfants

Dès l’Antiquité les enfants ont travaillé, principalement aux champs avec leurs parents et en participant aux tâches domestiques. Avec la Révolution industrielle une prise de conscience de leurs conditions de travail va se faire jour, principalement en Europe et en particulier en France. Des lois vont être votées pour réduire progressivement ce travail des enfants.

Dans l’Ancien Régime le cercle familial est le lieu principal ou s’exerce le travail des enfants. Les jeunes garçons participent aux activités de la ferme dans un monde ou l’agriculture occupe plus de 70% de la population active. Tant qu’ils n’ont pas encore la force physique nécessaire pour réaliser les travaux des champs ils gardent les animaux. Les enfants d’artisans apprennent progressivement le métier du père. Quant aux filles elles sont chargées de l’entretien de la maison en attendant d’être mariées, ce qui arrivait en moyenne autour des 15 ans. Très peu de ces enfants allaient à l’école, d’abord parce que les parents n’en voyaient pas l’utilité et parce qu’elle était payante. Seules les enfants des familles aisées de la bourgeoisie et l’aristocratie étaient scolarisées et n’étaient pas contraintes à un travail.
Dès le XIII ème siècle les enfants commencent à travailler hors du foyer familial. La plupart d’entre eux sont placés comme valets de ferme ou comme domestiques pour les garçons et comme servantes pour les filles. Ils répondent à une demande croissante d’employeurs à la recherche d’une main-d’œuvre peu coûteuse et en même temps ils permettent à leurs familles de disposer d’un revenu supplémentaire.
Ces enfants sont employés sur la base de « contrats de louage » ou sont placés comme apprentis dans les corporations. Les enfants abandonnés et les orphelins sont eux aussi mis au travail par les institutions qui les recueillent. Dans les grandes villes des « petits boulots » vont se développer comme vendeurs de journaux, porteurs, cireurs de chaussures… sans parler de prostitution.
La Révolution industrielle qui survient à la fin du XVIIIe siècle d’abord en Angleterre puis au Royaume-Uni et au début du XIXe siècle en France va voir se développer les mines et les manufactures qui ont besoins d’une main d’œuvre abondante.
La souplesse et la petite taille des enfants leur permettent de réaliser des taches que les adultes sont incapables de faire. Dans les mines ils se glissent dans des boyaux étroits, leurs petites mains sont adaptées aux métiers à tisser et aux filatures, ils peuvent se faufiler derrière les machines pour les nettoyer…
Le travail est non seulement fatigant et très pénible mais les enfants sont soumis à l’autorité souvent brutale de leurs patrons qui n’hésitent pas à recourir aux sévices corporels. Les conditions dans lesquelles ils travaillent ont des conséquences sur leur santé. Ils sont souvent blessés, sont victimes d’accidents, de tuberculose, de scolioses ou de rachitisme.
La prise de conscience
La crise économique, sévit en France dès la fin des années 1820 et se poursuit au début des années 1830 et aboutira aux fameuses Journées de Juillet 1831 ayant entraîné la chute de Charles X et la venue au pouvoir de Louis Philippe.
De nombreuses voix s’élèvent pour demander une réglementation sur le travail des enfants. Finalement, en 1835, l’Académie des sciences morales confie à Louis-François Benoiston et au docteur Villermé (1782-1863) une mission d’enquête sur ce sujet. Entre juin 1835 et août 1837 ils visitent des manufactures de coton, de laine et de soie dans les régions de Mulhouse, de Lille et de Lyon mais aussi à Nîmes et Carcassonne. Lors de ces déplacements, ils étudient les conditions de travail des ouvriers mais également leur logement, leur alimentation, leur salaires…
L’ouvrage né de ces recherches est publié par le docteur Villermé en 1840 sous le titre «Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie ». On peut y lire ces pages sur le travail des enfants :
« L’épluchage du coton, son cardage, et surtout le dévidage, l’empaquetage du fil, sont plus particulièrement faits par des femmes aidées d’enfants du même sexe. Chaque métier à filer occupe deux, trois, quelquefois quatre personnes, dont la plus âgée dirige les trois autres, qui sont presque toujours des enfants. Ces derniers, appelés rattacheurs, surveillent les fils, rattachent ceux qui se brisent, nettoient les bobines en se précipitant sur le plancher, pendant que la partie mobile du métier (le chariot) s’écarte de la partie fixe, et ramassent le coton de déchet. »
« Les enfants qui n’ont pas encore assez de force pour tisser, préparent les fils, et ceux qui tissent sont âgés au moins de quinze ans accomplis. »
« Les seuls ateliers de Mulhouse comptaient, en 1835, plus de 5000 ouvriers logés ainsi dans les villages environnants. Ces ouvriers sont les moins bien rétribués. Il faut les voir arriver chaque matin en ville et en partir chaque soir. Il y a, parmi eux, une multitude de femmes pâles, maigres, marchant pieds nus au milieu de la boue, […] et un nombre encore plus considérable de jeunes enfants non moins sales, non moins hâves, couverts de haillons tout gras de l’huile des métiers, tombée sur eux pendant qu’ils travaillent. Ces derniers, […] n’ont pas même au bras, comme les femmes dont on vient de parler, un panier où sont les provisions pour la journée; mais ils portent à la main ou cachent sous leur veste, ou comme ils le peuvent, le morceau de pain qui doit les nourrir jusqu’à l’heure de leur rentrée à la maison. »
« L’insuffisance de la nourriture, la continuité de toutes les privations, l’insalubrité de leur nouveau métier, la durée trop longue de la journée de travail, altèrent leur santé : leur teint se flétrit, ils maigrissent, et perdent leurs forces. Cet état de souffrance, de dépérissement des ouvriers dans les filatures de coton de l’Alsace, s’observe surtout chez les enfants. »
« Les enfants employés dans les manufactures de coton de l’Alsace, y étant admis dès l’âge où ils peuvent commencer à peine à recevoir les bienfaits de l’instruction primaire, doivent presque toujours en rester privés. »
« Les pauvres, je l’ai déjà dit, ont besoin que leurs enfants gagnent un peu d’argent; et les enfants encore fort jeunes sont aptes d’ailleurs à certains travaux. Le mal n’est donc point qu’ils entrent jeunes dans les ateliers, mais qu’on exige d’eux un travail au-dessus de leurs forces »
« Si j’ai pu faire partager mes opinions; si j’ai pu convaincre surtout qu’il est urgent de soumettre les grandes manufactures dites réunies à un règlement d’administration, ou bien, à une loi qui fixe un maximum à la durée quotidienne du travail des enfants, d’après leur âge, et empêche ainsi l’abus, porté jusqu’à l’immolation, qu’on y fait de ces malheureux, je n’aurai plus rien à désirer… »
L’impact de cet ouvrage a été considérable. Il conduit à une prise de conscience sur la condition ouvrière, en particulier celle des enfants. Il va en résulter un changement de mentalité conduisant à admettre qu’on ne pouvait pas «laisser faire» les patrons et qu’il fallait intervenir. Les travaux du docteur Villermé ont contribués à la remise en cause de l’idéologie libérale ce qui s’est traduit par le vote des premières lois sociales. C’est ainsi que le 22 mars 1841 est votée la loi qui interdisait le travail des enfants. On est surpris de voir aujourd’hui qu’elle se contente d’interdire le travail des enfants de moins de 8 ans, de limiter la durée du travail à 8 heures par jour pour les enfants de 8 à 12 ans et à 12 heures pour ceux de 13 à 16 ans. La portée de cette loi est limitée par le fait qu’elle s’applique uniquement dans les entreprises de plus de 20 salariés.
Une loi du 22 février 1851 réglemente le travail des enfants placés en apprentissage en limitant la durée du travail à 10 heures pour les moins de 14 ans, et à 12 heures ceux âgés de 14 à 16 ans.
La loi du 19 mai 1874 rend encore plus strict l’emploi des enfants en interdisant de faire travailler un jeune de moins de 12 ans et en étendant cette interdiction à l’ensemble des manufactures, usines, ateliers, chantiers. La durée maximale du travail est fixée à 6 heures quotidiennes pour les moins de 13 ans et à 12 heures au-delà.
Un des éléments important de cette loi est la création du corps des inspecteurs du travail. Dotés de pouvoirs de contrôles étendus et habilités à sanctionner les infractions. Ils vont jouer un rôle déterminant dans l’amélioration des conditions de travail non seulement des enfants mais de tous les salariés.
Une étape supplémentaire va être franchie après l’adoption des lois Ferry de 1881-1882 qui ont rendu l’instruction obligatoire. A partir du moment où l’école devient obligatoire il faut interdire aux enfants d’être employé avant la fin de la scolarité obligatoire.

Ce sera fait avec la loi du 2 novembre 1892 qui élève à 13 ans l’âge d’admission au travail. C’est ce que stipule son article 2 : « Les enfants ne peuvent être employés par des patrons ni être admis dans les établissements énumérés dans l’article 1er avant l’âge de treize ans révolus. Toutefois les enfants munis du certificat d’études primaires, institué par la loi du 28 mars 1882, peuvent être employés à partir de l’âge de douze ans.»
La loi précise qu’« Aucun enfant âgé de moins de treize ans ne pourra être admis au travail dans les établissements ci-dessus visés, s’il n’est muni d’un certificat d’aptitude physique délivré, à titre gratuit, par l’un des médecins chargés de la surveillance du premier âge ou l’un des médecins inspecteurs des écoles, ou tout autre médecin, chargé d’un service public, désigné par le préfet. Cet examen sera contradictoire, si les parents le réclament. »
La surveillance des enfants incombe également aux maires. L’article 10 prévoit que « Les maires sont tenus de délivrer gratuitement aux père, mère, tuteur ou patron, un livret sur lequel sont portés les nom et prénoms des enfants des deux sexes âgés de moins de dix-huit ans, la date, le lieu de naissance et leur domicile. »

Pour aller plus loin:

Philippe Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Seuil, coll. Points Histoire, 1975,
Danièle Alexandre-Bidon et Didier Lett, Les Enfants au Moyen Âge, Hachette, 2004.

Le travail des enfants à Nexon

Dans la mairie de Nexon, comme dans toutes les mairies de France, une grande affiche présente les principaux extraits de la loi du 2 novembre 1892. Les patrons sont tenus de faire afficher dans chaque atelier les disposition de cette loi ainsi que les noms et adresse des inspecteurs du travail de la circonscription (article 11). Ils doivent afficher également les heures auxquelles commencera et finira le travail ainsi que les heures et la durée des repos.
Les archives de la mairie de Nexon ont conservé le registre destiné à inscrire les livrets des enfants mineurs employés dans l’industrie.

registre

Ce registre débute le 29 juin 1896. Chaque année on trouve une dizaine de noms, cela semble peu mais il ne faut pas oublier que les jeunes qui travaillent dans l’agriculture ne relèvent de la loi de 1892 et qu’en ce qui concerne les emplois dans l’industrie, sont exemptés des dispositions de cette loi les personnes qui travaillent seuls avec leur père ou leur mère.
9 enfants sont enregistrés pendant l’année 1896 :
Barny Léonard né le 24 novembre 1879, cordonnier chez Guyot
Desbordes Jean-Paul né le 21 novembre 1880, sellier chez Laplaud
Desbordes Léon, né le 5 janvier 1880, sellier chez Laplaud
Marquet Jean Baptiste, né le 6 avril 1879, maréchal-ferrant chez Parvaud
Desproges Joseph, sellier chez Prugny
Audebert Martial, né le 24 août 1881, tailleur d’habit chez Combrouse
Laleu François, né le 6 janvier 1881, cordonnier chez Lambertie
Dudognon Jean né le 24 juin 1880, cordonnier chez Marquet
Pascal B. né le 9 août 1881, sellier aux ateliers de Désigne

travail des enfants 1

Les fiches individuelles montrent l’ampleur de la journée de travail. Les jeunes embauchent le plus souvent à 6 heures du matin et débauchent à 18 heures. Ils bénéficient d’une première pause entre 8 et 9 heures pour un casse-croûte et d’une seconde entre midi et 13 heures pour le déjeuner.

travail des enfants Combrouze

travail des enfants Combrouze tailleur

travail des enfants Lombertie

En 1897 il n’y a que 3 jeunes de moins de 18 ans inscrits sur le registre, un garçon et deux filles. L’une d’entre elles est couturière chez Mme Combrouse, l’autre est lingère chez madame Lamoure, repasseuse place de la bascule. Cette dernière, Léontine Barny est née le 23 juin 1882 ; Elle a été embauchée le 31 juillet 1897, un mois après ses 15 ans. Elle commence son travail à 7 heures le matin et y travaille jusqu’à 11 heures. Elle s’arrête 1 h 30 pour déjeuner et reprend le travail à 12 h 30 jusqu’à 19 heures avec une pose d’une demie heure de 16 heures à 16 h 30. Elle passe ainsi 10 heures par jour à repasser, du lundi au samedi soir, soir 60 heures de travail par semaine. Elle se repose le dimanche et les jours de fête.

Le jeune garçon, Albert Bonnet, né lui aussi en 1882, est apprenti sellier chez M. Prugny.

En 1898, 5 jeunes, tous des garçons,  sont enregistrés. Deux sont menuisiers chez M. Chenu, un est forgeron chez M. Perrier, l’autre cordonnier chez Guyot, place de la mairie et le cinquième est tailleur d’habits chez M. Truchassou. Ils embauchent à 6 heures le matin et travaillent 10 heures chaque jour. Pour eux il y a une pause casse-croûte à 8 heures. Elle dure en général 1 heures et à midi il y a généralement 2 heures pour déjeuner.

En 1899, 12 noms figurent sur le registre et là on note un changement important : il y a 10 filles et seulement 2 garçons. Ce sera la même chose les années suivantes jusqu’en 1920, dernière année qui figure sur le registre.

Les jeunes filles sont lingères pour 6 d’entre elles chez Mme Lamoure (2) ou chez Mme Quinque (4), ou bien ouvrière tailleuse chez Mme Lanternat (2), couturière rue de la barre ou chez Mme Guyonnaud (2). Les garçons sont menuisier chez M. Chenu et ouvrier forgeron (le nom du patron n’est pas mentionné). Parmi ces jeunes, 4 sont nés en 1886, ils ont donc tout juste 13 ans ! C’est le cas de Louis Limerie, né le 28 juillet 1886, embauché comme apprenti forgeron en novembre 1889 ou de Marie Barret, née 15 mars 1886, embauché en mai 1899 comme lingère apprentie chez Mme Lamoure.

En 1900, on compte 15 embauches, 9 filles et 6 garçons. Les filles sont lingères ou couturières. Mme Quinque emploie 3 lingères. On retrouve son nom chaque année avec deux ou trois jeunes filles, comme celui de Mme Combrouse qui emploie chaque année deux ou trois couturières.

L’un des garçons est forgeron chez M. Truchassou, un autre est  bourrelier chez Prosper Laplaud, maréchal ferrant chez Louis Parvaud, menuisier chez Felix, serrurier chez M. Peyrat ou jardinier au château de la garde.

Sur ces 15 jeunes, six sont nés en 1886. Ils ont donc 14 ans et travaillent 10 heures par jour.

En 1901, il y a 9 noms, 7 filles et 2 garçons. Comme l’année précédente les filles sont couturières (5) et lingères (2). Les garçons sont forgeron chez Etienne Truchassou et ferblantier chez M. Delaty. La plus jeune est Marie Boucher, née le 5 mars 1887, couturière chez Mme Jourde.

En 1902 on dénombre 14 noms, 9 filles et 5 garçons. Pour les filles ce sont les mêmes professions, 5 lingères et 4 couturières. Pour les garçons, le  même jeune, Marcel Nouhaud né le 14 août 1885 est enregistré le 20 mai comme apprenti coiffeur à Limoges, chez M. Melier, puis le 24 août comme serrurier chez M. Beaudout à Limoges.

Parmi ces jeunes 4 sont nés en 1888 et 2 en 1889. Marie Louise Pradeau, née le 4 février 1889 est couturière chez Mme Jourde et Jeanne Rousselle, née le 16 juin 1889 est couturière chez Mme Combrouse, née Guyot précise le registre. Elles ont 13 ans quand elles sont embauchées.

En 1903 ils ne sont que 7, 5 filles et 2 garçons. Aux lingères et couturières vient s’ajouter une modiste employée par Mlle Puyvert. La jeune Marie Dudognon, née le 5 octobre 1890 a tout juste 13 ans lorsqu’elle va travailler comme lingère chez M. Quynque à Champagnac. Le jeune Jean baptiste Rapnouille est apprenti maréchal ferrant chez son père.

En 1904 on compte 15 jeunes, 12 filles et 3 garçons. Les filles sont lingères ou couturières et les garçons tailleurs d’habits (2) et serrurier.

En 1905 ils sont 12 jeunes, 10 filles, lingères (6) ou couturières (4) et 2 garçons, tailleur chez M. Authier et maréchal ferrant chez M. Sanciaud.

En 1906 on retrouve une forte majorité de filles : 10 contre 3 garçons. Il y a 10 lingères et une couturière.

travail enfants 1906

En 1907 l’écart entre les garçons et les filles se réduit. Sur 10 jeunes il y a 6 filles et 4 garçons. Ales filles sont toujours lingères out couturières. Chez les garçons on trouve un tonnelier  chez M. Laurent, un charron chez M. Perrier, un menuisier chez M. Rattier et un coiffeur chez M. Nouhaud.

En 1908 il y a presque égalité : 6 filles et 5 garçons sont embauchés. Les filles sont toujours lingères ou couturières. Chez les garçons, M. Desplanches, horloger, embauche 2 jeunes apprentis et M. Bitaud un tout jeune quincaillier qui n’a pas encore 13 ans, Léon Lombertie né le 7 avril 1896 .

En 1909 on trouve 6 filles et 3 garçons. Les filles sont couturières (5) ou lingère (1). Les garçons apprennent le métier de maréchal-ferrant (2) et de quincaillier (1).

En 1910 il n’y a que des filles : 6 couturières, 1 lingère et 1 brodeuse. Cette dernière travaille à Brive chez Melle Assan.

En 1911 un garçon est employé comme tuilier par M. Roche et 5 filles sont soit couturières (3), soit lingères (2). Les patronnes sont Mesdames Dumoulin et Quinque.

En 1912 on constate une explosion du nombre des jeunes apprentis avec 17 jeunes  dont 15 filles qui sont toujours couturières (10) lingères (5) chez Mesdames Couvidou, Desmoulin, Dumoulin, Guyonnaud, Jourdes, Quinque et Rattier. Certaines n’ont pas encore 14 ans comme Angèle Jouhaud, Louise Faure ou Marguerite Faure, née le 5 décembre 1899 et embauchée le 19 octobre 1912 comme lingère.  Les 2 garçons sont l’un menuisier chez M. Rattier et l’autre maréchal-ferrant chez M. Sanciaud.

En 1913 le nombre de jeunes mineurs embauchés dans l’industrie chute vertigineusement pour tomber à 5, 4 filles et 1 garçon employé comme maréchal-ferrant  puis à 4 en 1914. Les filles sont toujours lingères ou couturières.

travail enfants 1916

 

En 1914 on ne compte que 4 jeunes enregistrés, 5 le seront en 1915, 5 en 1916 et 2 en 1917. Ce sont principalement des filles employées comme lingères ou couturières. Les 2 garçons sont tuiliers. L’un deux, André Muylle a tout juste 13 ans quand il est embauché. C’est le cas également pour la jeune Jeanne Mathieu, lingère à 13 ans et 9 mois.

En 1918 on compte 7 inscrits sur le registre, 6 filles comme lingères (5) ou couturière (1) et 1 garçon comme forgeron embauché chez Combrouse et Thomas.

travail enfants 1919

En 1919 il n’y a qu’une jeune couturière enregistrée de même qu’en 1920. La jeune Madeleine Combrouse n’a pas encore 14 ans lorsqu’elle part travailler chez Mme Breix comme couturière.