Récit de Mme GAUMY, institutrice à Nexon. Conservé aux Archives départementales de la Haute-Vienne (11 J 15).

Le texte étant difficilement lisible je l’ai dactylographié. Il montre la situation à Nexon en ce mois d’août , le maquis à Nexon dont je publierai prochainement l’histoire et le changement de comportement des gens à l’annonce de la libération de Limoges. M. Roger GAUMY a été président du Comité de Libération de Nexon et maire le 22 septembre 1944.
21 août 1944 – la journée a été fiévreuse. Quelque chose se prépare. Les hommes du groupe de St Yrieix et de Nexon, cantonnés dans un petit village des environs ont eu une permission de venir voir leur famille ; ils partent ce soir en direction de Limoges. L’attaque est imminente. On s’inquiète, car la ville regorge de miliciens et de boches.
Dans l’après midi pourtant, au P.C. F.T.P., on apprend que le général commandant la place de Limoges a demandé les conditions de la reddition de la garnison, ,mais, dit-on, les négociations ont échoué car le général ne veut pas se rendre aux F.T.I. !
19h. L’agent de liaison qui chaque jour rapporte les nouvelles de Limoges arrive à la maison et prévient mon mari qu’une colonne allemande est en formation au Pont-Neuf -à Limoges – et qu’elle comprend quelques blindés et des lance-flammes. Quelle direction prendra la colonne ? Route de Toulouse ? Route de Lyon ? Route de Périgueux , Nul ne le sait.
Est-ce une nouvelle sortie dans le genre de celle qu’effectuèrent les boches, le jeudi précédent, qui ,coûta la vie à une quinzaine d’hommes au Vigen, à 5 F.T.P. à Jourgnac et qui plonge Aixe dans une nuit d’angoisse ?
De toutes façons, il faut parer au danger et mettre en place le dispositif de sécurité.
20h. Nouvel effervescence ! Les gardiens du camp du Petit Séminaire de Limoges – ex-camp de Séjour Surveillé de Nexon – qui sont enfin passés à la Résistance, arrivent à Nexon avec armes et bagages. Ils ont réussi à ramener dans leurs fourgons, des tenues de gardiens et de miliciens et cela, sans éveiller l’attention des G.M.R. qui « tenaient « les blockhaus à la sortie de la ville. C’est un succès. Sur la place tout le monde est heureux. On chante … on rit … que d’allégresse… !
… Et la colonne allemande ? … Chut ! Si la menace se précise ils seront avertis à temps et je sais que dans chaque maison une valise est prête. Mieux vaut se taire.
23h. Mon mari n’est pas encore rentré. Et le couvre-feu ? Il y a longtemps que l’on ne s’occupe plus du couvre-feu et l’on sort quand il faut sortir.
Je repasse en compagnie de ma mère en attendant le retour de mon mari : il faut bien s’acquitter des « choses » ménagères et les journées sont si chargées.
Soudain un coup de sonnette. A cette heure …
J’ouvre la fenêtre de la salle à manger et demande derrière le volet « Qui est là ? »
– Sergent Desplanches.
Je descends vite, mon cœur bat très fort. J’ouvre la porte et j’aperçois le visage rayonnant d’un jeune garçon qui dans un garde à vous impeccable me lance :
-Les américains sont à Limoges. Je viens chercher les drapeaux. Nous faisons notre entrée demain matin.
-Les américains … est ce bien vrai ?
-Maman les drapeaux, vite…
Les drapeaux. Ils ne sont pas repassés. Je les avais heureusement retirés le matin même de la cachette où je les avais enfouis précipitamment lors du passage des boches.
Mais je devine l’impatiente du jeune homme.
_« Je vais les repasser Mme » et ouvrant son blouson de cuir il les glisse sur sa poitrine. « Là, dit-il, je ne les perdrai pas. Merci Mme. »
Dehors il fait nuit noire. A tâtons il retrouve sa moto.
« Les américains ? les américains ? » et pendant que le moteur pétarade je demande :
-« Est-ce que je peux le dire ? »
-« Oui- oui » et déjà la moto s’enfonce dans la nuit.
Mais le bruit a alerté les voisins et d’une fenêtre une voix m’appelle :
-« Madame Gaumy, qu’est-ce que c’est ? »
-« Les américains sont à Limoges. Levez-vous ! »
Bientôt tout le quartier apprend la bonne nouvelle et chacun s’empresse pour avertir ses amis.
Moi je me précipite au groupe scolaire où je vais retrouver mon mari.
A notre retour la place est illuminée, les fenêtres et les portes grandes ouvertes, les gens s’interpellent et les gosses parcourent les rues en chantant.
-Je crois, dis mon mari, que l’occasion est excellente pour boire ma dernière bouteille !
Nous nous retrouvons bientôt réunis chez des amis.
-Nous aurons des nouvelles dans une heure nous dit la femme du lieutenant D. Mon mari vient de me faire savoir qu’il enverrait quelqu’un.
Les commentaires vont bon train : les américains à Limoges ! cela ne paraissait pas invraisemblable : la radio annonçait ce soir qu’ils étaient à Angoulême. La radio de Londres naturellement !
Alors vive les américains
Vive les F.F.I.
A la libération de Limoges
L’heure passe. Un bruit de moto. Voila les nouvelles. Alors ?… Alors ? Nous sommes impatients.
Alors … les Américains ne sont pas à Limoges ! ce sont des Canadiens descendus du plateau de Millevaches qui sont arrivé à Limoges pour recevoir du général la reddition de la garnison de Limoges.
Nous sonnes déçus. Nous aurions voulu des américains, des vrais, tels que l’avait rêvée notre imagination.
Et vive les Canadiens. Demain nos F.F.I. seront à Limoges. Notre maquis fera son entrée, demain à l’aube, avec « nos » drapeaux. Nos drapeaux en toile de parachutes préparés dans la clandestinité. Nous sommes très fier.
Quel bonheur, libres ! Enfin libres ! Il y a dans le bureau de mon mari 90 brassard taillés le matin même… quelle aubaine, libres ! demain j’aurai des mains, beaucoup de mains qui me demanderont pas mieux que de travailler pour nos maquisards, parce que ce travail se fera sans risque.
Laisser un commentaire