Pendant presque un an, de septembre 1939 à septembre 1940, 67 000 Alsaciens originaires du Bas-Rhin ont vécu dans la partie rurale de la Haute-Vienne, Limoges ayant été exclue à cause du risque de bombardement qui pesait sur elle. En quelques jours la campagne limousine a vu sa population augmenter d’un tiers, ce qui n’a pas été sans poser des problèmes.
Les réfugiés n’ont pas toujours été accueillis à bras ouverts car les circonstances ne s’y prêtaient pas. Le 2 septembre est le premier jour de la mobilisation pour tout le territoire et en même temps c’est l’ordre d’évacuation pour la zone frontalière.
La guerre était déclarée mais c’était la « drôle de guerre », un grand nombre des réfugiés parlaient alsacien entre eux ce qui les faisaient prendre pour des allemands, comme ils répondaient souvent par « ya-ya », on finit par les appeler les : Ya-yas. Le confort qui leur était offert était souvent des plus spartiate : granges, salles de bal, pas toujours l’eau courante et souvent les WC au fond du jardin. Les réfugiés arrivaient fatigués par un long voyage qu’ils n’avaient pas choisi avec très peu d’affaires, 30 kg par personne. Compte tenu de la mobilisation la SNCF est obligée de mettre en service tout son matériel, y compris les wagons à marchandise. Les personnes s’entassent au milieu des bagages.
Il a fallu plusieurs mois pour apprendre à se connaitre, pour que tous les problèmes administratifs soient réglés, que les conditions de logement s’améliorent. Peu à peu la solidarité à pris le pas sur la méfiance. Des activités communes dans le sport et la culture se sont développées et parfois des amitiés durables sont nées.
Et pourtant l’hypothèse d’une arrivée massive de réfugiés en Limousin était prévue depuis 1933 !
- Les préparatifs pour une évacuation en cas de guerre
La construction d’une ligne fortifiée, la ligne Maginot, à partir de l’année 1929, s’effectue à une dizaine de kilomètres de la frontière afin d’éviter un conflit diplomatique avec l’Allemagne. Mais de faisant plusieurs centaines de communes vont se trouver encastrée entre cette ligne et la frontière. Comme de leur côté les allemands ont construit une ligne de défense analogue, la ligne Siegfried, le seul type de guerre qui en résulte pour l’Etat-major est une guerre de position. On imagine la future guerre comme un Verdun bis ! Pour préserver la population de ces communes on va prévoir son évacuation dès les premières menaces.
Une circulaire du ministre de l’Intérieur d’août 1933 désigne la Haute-Vienne et la Dordogne pour accueillir le Bas-Rhin. Ces fiançailles sont confirmés par l’instruction générale du 18 juin 1935 et la Haute-Vienne est désignée pour recevoir les habitants des arrondissements de Wissembourg, Haguenau, Strasbourg-Campagne et Saverne du Bas-Rhin.
Les administrations des départements concernés planifient ce grand mouvement de population sous l’autorité du ministre de l’Intérieur et en relation avec l’Armée, sans savoir quand il aura lieu et peut-être avec l’espoir que ce ne soit jamais ! Les premières années les administrations travaillent sans pression excessive, la menace de guerre étant diffuse. Les choses changent à partir de 1936 lorsque l’Allemagne remilitarise la Rhénanie. Elles s’accéléreront avec le début de la guerre d’Espagne qui ouvre un nouveau front de réfugiés potentiels.
L’année 1938 voit la mise en forme d’un plan double : le plan d’évacuation appelé « plan de repliement de la population civile de la partie nord du département du Bas-Rhin » et celui de la réception dans la zone de repliement.
L’Armée délimite des zones militaires :
- La zone avant, comprise entre la frontière et la ligne Maginot, doit être évacuée dès la déclaration de guerre.
- La zone arrière qui sera évacuée en fonction des besoins de l’Armée.
- La zone de repliement qui comprend les autres communes du département.
Le préfet du Bas-Rhin dresse la liste des communes de la zone avant avec le nombre potentiel d’évacués civils qu’il transmet au préfet de Haute-Vienne. 84 communes qui touchent la frontière seront évacuées dès l’ouverture des hostilités. 96 autres communes constituent la zone arrière dont la population sera évacuée selon les besoins.
Au début de l’année 1939 une carte prévoit la répartition de la population alsacienne évacuée dans les communes de la Haute-Vienne.
Les quatre arrondissements alsaciens sont ainsi répartis : l’arrondissement de Saverne est rattaché à l’arrondissement de Bellac, celui de Wissembourg est partagé entre les cantons de de Laurière, Eymoutiers et Châteauneuf-la-Forêt), celui de Haguenau se retrouve sur l’ancien arrondissement de Saint Yrieix et l’arrondissement de Strasbourg-Campagne couvre celui de Rochechouart augmenté des cantons de Nieul, Aixe-sur-Vienne, Châlus. Nexon n’est pas désignée pour recevoir les évacués de l’avant mais doit être prête pour ceux de la zone arrière.
Partant d’un ratio d’accueil de 32% pour l’évacuation et de 50% si on ajoute le repli on a déterminé les capacités d’absorption des 4 zones.
2. L’arrivée des réfugiés
Dans les villages, chaque maison avait été répertoriée et dotée d’un numéro d’ordre. Toutes les caractéristiques de la famille étaient connues : nombre d’adultes, d’enfants ou de vieillards, d’infirmes, malades, … ainsi que les moyens de transport dont pouvait disposer la famille pour se rendre à la gare de rassemblement. La seule chose qu’ignoraient les personnes c’était leur destination.
Le 1er septembre, dans les villages concernés, une annonce de ce type est faite à la population :« dans une heure et demi, le village sera évacué, les villageois devront être prêts à partir sur …, vous emmenez une petite valise avec quelques effets personnels, les portes des étables devront être ouvertes et les animaux mis en liberté ».
Les premiers évacués alsaciens arrivent de Wissembourg par 2 trains dans la nuit du 3 au 4 septembre 1939 en gare de Saint-Sulpice-Laurière. Les 468 personnes du premier train sont dirigées sur Magnac-Laval et les 715 du second train vont vers le Dorat et Dinsac. Entre le 6 et le 16 septembre se sont en moyenne 4000 personnes qui arrivent chaque jour et au total, au 1er octobre l’administration a recensé 58 784 arrivants.
Leur voyage est décrit par Raymond STROH, évacué de Kilstett, comme située à 15 km au Nord de Strasbourg pour aller à La Roche l’Abeille. Ce voyage est transcrit dans le Bulletin Municipal de La Roche l’Abeille d’Août 2017 : «
Lucie et Ida KRESS, filles de Rosalie KRESS née Henninger, évacuées avec leur mère, le père étant mobilisé ; elles avaient respectivement 16 ans et 9 ans en 1939 : « Ma grand-mère attela deux vaches au chariot, en hâte ma mère ramassait quelques vêtements, le nécessaire, dans des sacs de toile, des taies d’oreiller, nous n’avions pas de valises. Une fois assis sur le chariot (…) grand-mère donnait le coup de fouet pour faire avancer notre attelage et nous partions avec tous les villageois. (…) deux jours plus tard, arrivés à Marlenheim, nous étions embarqués dans des wagons à bestiaux. Le cœur lourd, j’ai vu repartir ma grand-mère pour aller s’occuper des vaches. C’était le soir du 3 septembre que notre train s’ébranla et nous entraina vers l’inconnu.
Le voyage dura trois jours, nous étions trente, voire quarante personnes dans le même wagon, à même le plancher recouvert de paille (…). Aux arrêts du train, la Croix Rouge nous donnait à boire et à manger (…). Quand notre train s’arrêta une dernière fois, nous étions arrivés à La Meyze. On nous demanda de descendre avec nos affaires, pour aller rejoindre à pied notre village d’accueil, La Roche l’Abeille.
(…) Au milieu de la nuit, à notre arrivée sur la place du village, le maire a fait débarrasser les meubles, tables de la mairie et de l’école, de la paille fut étalée par terre, afin que nous puissions dormir. Nul n’était au courant de notre arrivée.
Nexon n’est pas concernée par les premières arrivées et un plus grand nombre de communes que dans le plan initial sont dans la même situation. Cela ne va pas durer.
3. L’arrivée des réfugiés à Nexon
Darnac, dans le nord du département, a accueilli les évacués de Niedersteinbach auxquels se sont ajoutés ceux de Buhl soit 614 évacués pour 937 habitants ce qui constitue une charge très lourde de 65 % soit le double de la norme fixée à 32%. Très vite le maire de Darnac est confronté aux plaintes et aux revendications des évacués, insatisfaits des conditions d’accueil qui leurs sont faites. Par exemple les membres des familles nombreuses ne veulent pas être séparés et refusent les logements proposés, souvent trop petits. Malgré la médiation du sous-préfet toutes les difficultés ne peuvent pas trouver de solutions et le départ des habitants de Buhl est inéluctable.
Nexon n’a pas encore reçu d’évacués de la zone » arrière » aussi la commune va être désignée pour accueillir ceux de Buhl. Les 16 et 17 novembre 1939 les 335 évacués de Buhl quittent Darnac et prennent la route pour Nexon. Pour les 2580 habitants de Nexon c’est une charge de 13%, très en dessous de la moyenne théorique fixée par l’administration.
Buhl est une petite commune rurale qui compte en 1939 un peu plus de 400 habitants qui vivent en majorité de l’agriculture. En décembre 1944 de terribles combats opposèrent américains et allemands et le village, délivré le 16 mars 1945, fut détruit aux deux tiers.
Comment ont été logés ces personnes ? Il ne semble pas qu’il y ait eu des difficultés pour loger les 335 évacués de Buhl. 56 familles ont offert de 1 à 5 pièces et certains plus comme TREZEL avec 13 pièces dans lesquelles sont accueillis 16 adultes et 3 enfants, DUMONT qui offre une grande salle et 6 pièces et GUYOT 5 pièces et un immeuble.
Le témoignage de Raymond STROH montre la diversité des situation et la grande précarité de certains : » Dans le bourg de La Roche l’Abeille, par exemple, dix familles, soit 59 personnes ont été hébergées dans le presbytère. Comme il n’y avait pas de cuisine, cette dernière était faite collectivement à l’ancien café restaurant Barry, à côté de la mairie. L’approvisionnement en eau se faisait à la fontaine qui se trouvait près du Monument aux Morts. »
« Au village de Royères, les 26 membres de cinq familles « kilstetters » occupaient les vieux bâtiments en bordure de route et les granges de la ferme.
« Les conditions de logement étaient vraiment très précaires, Lucien Hommel ( famille Margraffs n° 170 a) raconte que, dans un premier temps, sa famille fut hébergée dans deux pièces pour 17 personnes, sans eau ni électricité »
Le plus souvent il n’y avait pas de moyens de chauffage, mais heureusement, selon les témoignages, l’hiver 39/40 ne fut pas très rigoureux.
Si elles avaient un toit, les familles manquaient d’équipements pour leur logement : matelas, draps, couvertures mais aussi vaisselle et vêtements…
Les feuilles d’attribution des logements indiquent les besoins en lits et les poêles apportés. Au total il faut 196 lits et petits lits. Une feuille isolée donne une liste de personnes ayant fourni matelas et couverture mais la liste est loin d’atteindre les 150 couvertures et les 20 matelas indiqués dans le titre ! On peut supposer qu’ils ont été trouvés.
Assez rapidement la presse locale relaye les appels aux dons lancés par les autorités ou les comités qui se sont constitués, comme celui des Limousins de Paris présidé par le général A. MARIAUX, alors Gouverneur des Invalides.
Le préfet organise le 17 décembre une « Journée alsacienne » dans toutes les communes. Au cours de cette journée des insignes sont vendues au profit des évacués.
Le Populaire 3 décembre 1939 Le Populaire 16 décembre 1939
Pour le canton de Nexon ce sont 1012 évacués qui étaient présents en avril 1940. Nexon, chef-lieu du canton et commune la plus peuplée en accueille le plus grand nombre,335, devant La Roche l’Abeille (263) et Janailhac (242). Trois communes n’ont reçu aucun alsacien : Meilhac, Rilhac-Lastours et Saint-Hilaire les Places.
Les trois communes ce Janailhac, La Roche l’Abeille et Saint Priest Ligoure ont accueilli ensemble 550 personnes. En 2004 elles se sont regroupées pour organiser un jumelage avec Kilstett, commune située à 15 km au Nord de Strasbourg dont les habitants avaient trouvé refuge dans ces communes en juin 1939.
4. La création de « villages alsaciens » pour résoudre les difficultés de logement
Fin septembre 1939, constatant que les capacités d’accueil existantes étaient insuffisantes pour faire face à l’arrivée probable d’une masse de réfugiés de la zone arrière les autorités limousines décident la création de plusieurs « villages alsaciens ». Il s’agit d’un ensemble d’une dizaine de bâtiments, à l’écart du bourg, avec cuisine, installations sanitaires, réfectoire et alimentation en eau potable. Cela devait ressembler aux villages limousins mais au lieu de constructions en pierre il s’agissait de baraques en matériaux légers avec couvertures fibrociment et tôle ondulée galvanisée avec une vie collective imposée. En fait de villages on a construit des camps avec des baraques. A la mi-octobre, les travaux sont commencés pour 7 communes : Le Dorat, La Meyze, Nexon, Saint-Germain-les-Belles, Saint-Junien, Saint-Paul-d’Eyjeaux et Séreilhac. Le tableau suivant donne le programme de construction en novembre 1939 et la réalisation en juillet 1940.
Au printemps 1940, les villages alsaciens projetés à l’automne 1939 ne sont pas terminés mais ils sont sortis de terre. Sur les 96 baraquements prévus, 18 sont réalisés et pourtant ils ne sont pas utilisés. Pour quelles raisons ? Il semble que très rapidement, au moins à la fin du mois de novembre 1939, l’idée de ce qui apparaît comme la création de camps d’hébergement n’entre plus dans les objectifs de l’administration centrale mais le préfet de la Haute-Vienne poursuit le programme afin de parer à un nouveau flux de réfugiés.
En septembre 1940 l’inventaire de l’Ingénieur des Ponts et Chaussées montre que le programme de novembre 1939 est globalement réalisé : 86 baraques sont construites pouvant héberger 4492 personnes auxquelles il faut ajouter les 6 baraques de Saint Germain les Belles qui ont été remises à l’autorité militaire. On peut se demander si le décompte de juillet traduisait exactement la réalité ? Comment en moins de 2 mois le programme a t’il pu être pratiquement réalisé en construisant 74 baraques ?
Les craintes du préfet étaient fondées puisque l’offensive allemande du 10 mai 1940 conduit à une nouvelle vague d’évacuation : 33 000 Alsaciens quittent la région. Le 14 mai 1940 le préfet écrit au maire de Nexon pour lui annoncer l’arrivée probable de 343 nouveaux réfugiés.
Au moment ou il écrit sa lettre et annonce 343 réfugiés supplémentaires le préfet savait que le camp était sorti de terres et que des réfugiés pourraient y être logés puisque la veille, le 13 mai, il écrit au maire de Nexon pour lui demander de rechercher une famille de réfugiés pour garder les baraquements.
Sont-ils effectivement arrivés ? Je n’ai pas trouvé de traces dans les archives municipales. Les voisins du camps ont dit à Tessa RACINE lorsqu’ils ont été interrogés pour son documentaire « Le camp fantôme » qu’il n’y avait jamais eu de réfugiés au camp. Ce document et une lettre adressée à Madame LEDUC le 25 juillet 1940 porte comme adresse « Camp des réfugiés, baraquement 12 ». Il est donc probable que le camp ait accueilli des réfugiés.
5. La vie des réfugiés
A Nexon toute la population de Buhl était réunie et sa vie administrative dépendait de son maire, replié avec son conseil. Il continue à administrer la ville de Buhl comme si rien n’avait changé. De même les élèves retrouvent leurs professeurs, les pasteurs et les curés leurs paroissiens et les contribuables leur percepteur. A Nexon on trouvait, en plus, les bureau de poste de Mertzwiller et de Reischoffen avec leur personnel.
Un décret de décembre 1939 prévoit que les communes évacuées restent placées sous le régime en vigueur dans leur département. Le statut spécial qui a été accordé en 1919 avec les spécificités liées à l’école et à la religion sera parfois source de frictions.
Lorsque c’est possible, l’enseignement donné aux enfants évacués doit demeurer spécifique et doivent correspondre aux programmes spéciaux aux départements concernés. C’est facile lorsqu’il est facile d’organiser des classes autonomes mais c’est contraire au principe d’intégration. La solution est préconisée est d’organiser des classes communes mais se pose alors la question des locaux. des programmes de constructions avec des baraquements sont lancés mais les délais de réalisation dépassent parfois le temps de l’année scolaire. On a également utilisé le système de classes par demi journée. Le matin, de 8 heures à midi, un groupe est dans la classe et l’après midi il fait du sport ou des travaux pratiques. L’après midi, le second groupe classe prend le relais. Et pour permettre satisfaire la durée hebdomadaire des cours il y a classe le jeudi.
Pour renforcer les services municipaux le Préfet de la haute-Vienne écrit aux maires le 28 mai pour leur indiquer qu’avec les nouveaux évacués se trouvent des instituteurs sans emploi qui peuvent apporter leur concours aux communes dont les taches sont accrues du fait de la présence des réfugiés.
Les frictions qui ont existé étaient souvent liées à l’enseignement religieux. Au programme en Alsace-Lorraine il heurtait les enseignants des écoles publiques soucieuses du respect de la laïcité. L’Inspectrice alsacienne, après avoir visité 83 communes s’inquiète auprès de sa hiérarchie de l’activisme du clergé catholique et elle croit de son devoir » de faire connaître l’existence de deux courants contraires prêts à s’affronter; un courant d’anticléricalisme qui va s’exaspérant et une tendance marquée à abuser de la situation ».(Rapport de l’Inspectrice à l’Inspection générale, 2 novembre 1939. ADHV 3 R 16). Nexon n’était pas concernée car les évacués de Buhl n’étaient pas encore arrivés. Lorsqu’ils sont arrivés les élèves nexonnais avaient repris la classe depuis le 2 octobre. Je n’ai pas trouvé trace de la manière dont la question scolaire a été réglée.
Dans certaines communes le fait que des cérémonies religieuses soient faites en langue allemande a exacerbé les tensions entre les communautés. Maude WILLIAMS cite un certain nombre de cas mais pas en Haute-Vienne si ce n’est le peu d’empressement à prendre part à la création du Foyer alsacien comme il s’en crée dans toutes les communes ou se trouvent des évacués. Maude Willliams. La communauté catholique d’Alsace Lorraine face aux évacuations septembre 1939 – mai 1940. Annales de l’Est, Association d’historiens de l’Est, 2014, La Lorraine (1814-1940) Invasions et occupations, pp.203-226. ffhal-01740475f
Pour vérifier la qualité des logements offerts aux réfugiés des contrôleurs sont recrutés soit parmi les juges de paix en activité ou à la retraite, soit parmi les ingénieurs subdivisionnaires. C’est dans cette dernière catégorie que sera recruté le contrôleur pour Nexon. Mais il ne semble pas qu’il y ai eu de problèmes importants vu le ratio réfugiés/habitants de 13%, l’un des plus faible du département.
Les personnes logeant reçoivent une indemnité de un franc par jour pour un lit d’une personne et de 25 centimes s’il ne couche pas dans un lit fourni par le propriétaire.
Pour faciliter les relations entre les deux populations on incite les habitants des communes limousines à inviter les alsaciens aux fêtes et aux manifestations religieuses. Il y a bien parfois des incompréhensions entre les réfugiés en majorité protestants et les limousins catholiques. Mais Noel est une fête chrétienne et tous sont invités à participer aux différents arbres de Noel.
Des équipes de foot se rencontrent, des fêtes sont organisées mais le regard alsacien est relativement sévère sur les manières de vivre limousines. Dans de nombreuses lettres ils s’étonnent des conditions de vie frustes avec des toilettes au fond du jardin, de l’eau que l’on puise ou que l’on va chercher à la fontaine, l’électricité peu fréquente, la cheminée qui fume en guise de chauffage…
Pendant leur séjour en Limousin de nombreux évacués ont manifesté leur reconnaissance comme ici à Cognac la Foret :
6. Le retour des évacués
Dès l’armistice du 22 juin 1940 les Allemands exigent le retour au pays des Alsaciens-Mosellans évacués en 1939. Ces retours ont ainsi été organisés :
– de fin juillet à début octobre 1940, 228 000 personnes, avec des trains spéciaux de rapatriement ;
– à partir de novembre 1940, 20 000 personnes par des liaisons ferroviaires régulières ;
– le restant de la population a emprunté les cars, voitures particulières, camions et autres moyens divers de rapatriement.
Les premiers à partir furent les réfugiés des communes du Sud et Sud-Est de la Haute-Vienne qui partirent dès le 2 août puis en remontant vers le Nord du département les départs se sont échelonnés jusqu’au mois d’octobre.
Pour Nexon les départs ont eu lieu du 12 au 21 août et du 11 au 30 septembre. Par exemple un train est parti le 1er septembre venant de Bussière Galant et 50 personnes à Nexon.
Un nouveau train doit partir de Nexon le 15 septembre à 11h02. le maire et le représentant des réfugiés ont reçu le télégramme annonçant ce départ la veille à 8h30.
Le voyage de retour ne se passe pas dans les meilleurs conditions si l’on en croit la lettre qu’adresse, le 9 septembre, le chef du convoi du train de réfugiés n°2 en provenance de Bergerac au Maire de Nexon. parti depuis le 6 septembre son train avec 712 voyageurs est bloqué en gare de Nexon. Il demande du ravitaillement en précisant que beaucoup n’ont pas d’argent et un local avec de la paille ou ils puissent dormir. Triste retour !
Mais tous les évacués ne sont pas retournés en Alsace, soit parce qu’ils ne voulaient pas être « germanisés », soit parce que les autorités d’occupation leur ont interdit le retour dans leur commune placée sous administration allemande. C’est ce qui c’est passé pour les Juifs, une circulaire du préfet de la Haute-Vienne aux maires datée du 29 juillet 1940 leur indique clairement que les Alsaciens israélites étaient interdits de retour.(ADHV 187 W 5).
A l’arrivée, tout ne se passe pas très bien, car beaucoup de maisons avaient été pillées malgré l’engagement des autorités de les surveiller.
Il faut dire un mot aussi des jeunes gens qui, réfugiés en Limousin, se sont trouvés, à leur retour, enrôlés dans l’armée allemande. certains sont morts au front, d’autres sont intervenu sur le territoire national et ont participé aux exactions des nazis, c’est la douloureuse histoire des « malgré nous ».
7. 80 ans après le retour
Dans certaines communes de solides liens d’amitié se sont noués pendant ces mois de cohabitation entraînant par la suite, parfois plusieurs dizaines d’années après. Ainsi en mai 1981 Bessines et Morterolles firent un voyage à Schoenenbourg et ses communes voisines qui déboucha par la suite sur un Jumelage. De même Saint Yrieix la Perche et La Wantzenau sont jumelées depuis 1971 et se visitent à raison d’une rencontre tous les quatre ans, la dernière ayant eu lieu à Saint Yrieix en 2018. Le Jumelage entre Le Dorat et Wissembourg a eu lieu en 1998-1999. Saint Hilaire Bonneval et Auenheim ont signé un pacte d’amitié en 2012 et se rencontrent régulièrement. Depuis 2016, Saint-Léonard de Noblat et Drusenheim, déjà jumelées, ont décidé que les deux harmonies ne forment qu’un ensemble baptisé « Orchestre Alsace Limousin ».
Dans le canton de Nexon, comme nous l’avons déjà indiqué, les trois communes de Janailhac, La Roche l’Abeille et Saint Priest-Ligoure sont jumelées avec Kilstett depuis 2004. Des échanges réguliers ont lieu et les manifestations du lien Alsace-Limousin sont visible des deux cotés. La Meyze, qui avait accueilli 70 évacués de Kilstett ayant quitté la Roche l’Abeille pour trouver mieux dans cette commune, participe aux échange avec ses communes voisines.
A Nexon il n’y plus de traces de ces 335 alsaciens de Buhl qui y ont passé près de 10 mois. Une volonté d’oubli ou un repli sur soi ?
Beaucoup d’autres points pourraient être abordés comme les indemnités aux évacués et aux loueurs , leur activité pendant cette période…
Cette lettre de Camille CHAUTEMPS, Vice Président du Conseil, radical socialiste au début de sa carrière puis soutien de Pétain en 1940, il pose des questions qui reviennent de manière récurrente chez les libéraux : est ce que les indemnités versées à une personne sans emploi sont un frein à la recherche d’un travail ? Quand une personne trouve un travail doit-il continuer à percevoir des indemnités ? Un demandeur d’emploi peut-il refuser une offre lucrative s’il est en mesure de s’acquitter de la tache qui lui est proposée …?
Pour en savoir plus : Daniel BERNUSSOU, UNE SAISON D’ALSACE EN LIMOUSIN, Septembre 1939 – Septembre 1940 http://bernussou.daniel.free.fr/