A ma mère

Si je me suis intéressé à l’histoire de Nexon c’est grâce à ma mère. Elle adorait l’histoire, lisait beaucoup, conservait tout les documents sur Nexon. Elle me racontait le Nexon qu’elle a connu quand elle y est arrivée au début des années 1930. J’ai acheté la carte postale de la maison ou elle habitait. Elle me montrait ou était sa chambre, me parlait des voisins, des commerces…

maison Malardeau annees 30

Nous avions encore beaucoup de choses à nous dire mais, bien qu’elle ait fêté ses 91 ans, elle est partie trop tôt, le 6 septembre 2015.

Pour lui rendre hommage je met en ligne le texte que j’ai lu le jour de ses obsèques.

 

« Maman,

Tu nous as quittés trop rapidement. Lorsqu’il y a quelques semaines nous avons fêté tes 91 ans nous avons émis l’hypothèse que tu puisses quitter le Courdein pour passer l’hiver moins seule. Tu nous as regardés et ta réponse a cinglé « où veux voulez vous que j’aille ? Il y a 70 ans que j’habite ici, vous y êtes nés, j’y suis heureuse et je veux y rester».

Tu es effectivement arrivée au Courdein il y a 70 ans, lorsque tu as épousé papa. Tu avais 22 ans, tu étais une belle jeune fille qui avait envie de s’envoler de la cage dorée ou tu vivais avec tes parents et tes deux sœurs, Marie-Thérèse et Marie-Louise. Tu aidais tes parents en t’occupant de la comptabilité de la filature et du commerce de laines que ton père, Henri Malardeau, avait créé à Nexon, au début des années 1930.
Tu es donc venue à Nexon quand tes parents ont quitté la filature qu’ils géraient à Bussière Galant. Une petite filature au pied du village d’Aurin ou ton père est arrivé après la guerre, en 1919. Dans ce petit village vivait une jeune fille, Marguerite Boucher. Les deux jeunes se sont plus, se sont mariés et ils ont eux trois enfants. Tu es née le 19 juin 1924 et tu as vécu ta petite enfance dans ce village ou tu aimais revenir. Tu as effectué ta scolarité d’abord à Bussière puis à Nexon, à l’école religieuse. Tu étais une bonne élève et tu aurais aimé, une fois ton certificat d’études en poche, continuer des études car ton rêve était d’être institutrice. Mais ce n’était pas le choix de ton père. Et à l’époque on ne discutait pas les décisions du père. En plus l’époque n’était pas facile.

Tu avais 16 ans quant la guerre a éclaté. Tu as vécu cette période difficile ou l’on est pris entre le devoir d’obéissance à un gouvernement légitime et celui de résister. Tu n’aimais pas trop en parler mais ce que nous avons retenu c’est que les contraintes de cette période de guerre ne t’ont pas permis de vivre la même jeunesse que celle que nous avons connu, nous tes enfants. Aussi en 1946 lorsque que tu as rencontré un jeune homme nouvellement arrivé à Nexon tu es vite tombée amoureuse ; Il avait 27 ans, il avait passé 5 ans en captivité, il était belge et il travaillait avec son père qui venait d’acheter le moulin et la boulangerie du Courdein. Les fiançailles ont été rapides et le mariage a été célébré dans la foulée. A peine neuf mois après je suis venu au monde. Tu as eu 7 enfants en sept ans, c’est vrai qu’il y avait des jumeaux et tu as assuré avec chaleur mais aussi autorité la lourde charge de mère. Tu as été aussi une belle grand-mère pour tes 19 petits-enfants et tes 14 arrières petits-enfants.

Au delà de notre éducation que tu as voulue très classique tu as milité avec papa pour que les familles puissent assurer l’éducation de leurs enfants dans les meilleures conditions. Papa et toi avez été des membres actifs de l’association familiale, participant aux réunions de formation et de promotion aux nouvelles technologies qu’étaient les machines à tricoter et tu y as converti papa. Tu n’avais pas ton pareil pour tricoter un pull dans la journée et tu n’avais pas besoin de couturière pour t’aider à nous habiller tous et toutes. Nos sœurs n’y ont pas toujours vu que des avantages !

A coté des tâches ménagères c’est toi qui assurais la gestion des affaires. En effet papa a quitté très vite l’atmosphère enfariné du moulin et de la boulangerie préférant le grand air de la petite ferme en friche qu’il a achetée à Saint Hilaire. Dans les faits c’est toi qui dirigeais les affaires : tu étais le chef du personnel d’une petite entreprise agro-alimentaire : du grain de blé au pain tu maitrisais tous les stades de la production. Tu pouvais aussi bien aller donner un coup de main à la ferme ou vendre le pain lors des tournées que nous faisions du lundi au samedi.

Tu étais en même temps capable d’organiser tous les jours les repas pour une douzaine de personnes, en effet nous étions déjà 9, les enfants et vous mais il y avait aussi pépé et mémé, des ouvriers qui étaient nourris et parfois logés et ce qui nous toujours émerveillé c’est qu’’à n’importe quel moment quelqu’un pouvait arriver et tu rajoutais un couvert. La maison était ouverte à tous. Combien de fois lorsque nous étions étudiants sommes nous arrivés avec un ou deux camarades, sans te prévenir, bien sur il n’y avait pas encore de téléphone portable, et avec le sourire tu accueillais tous ceux qui venaient à la maison.
Oui, nous avons été étudiants ! C’est toi qui l’as voulu. Combien de fois t’avons-nous entendu dire « j’aurais voulu faire des études et je n’ai pas pu, alors vous vous ferrez ce que je n’ai pas pu faire ». Je te remercie personnellement pour la volonté que tu as mis à nous pousser au maximum de nos capacités. La contrepartie c’est que papa et toi, vous ne dressiez pas de lauriers. Nous n’avions pas, ou peu de compliments car pour vous le travail était la norme. Mais nous savions par les autres que tu étais très fière de tes enfants. A cet égard tu étais comme la mère poule, les surveillants sans cesse, les voulant toujours sous ton aile. Ce n’était pas sans engendrer quelques réactions de notre part. Quelques semaines avant de nous quitter tu nous parlais comme si nous étions toujours des enfants. Nous en te disions souvent « maman nous ne sommes plus des gamins » mais pour toi, nous étions toujours tes petits. Ce n’est plus vrai aujourd’hui…

Tu as souffert dans ta vie, on ne vit pas plus de 91 ans sans soucis physiques mais ce que tu as du mal à surmonter c’est la mort de notre sœur, ta fille Marie-Andrée. Elle était comme toi, la même énergie, la même gentillesse, le même dévouement ; Une sage femme dont on nous parle encore aujourd’hui emportée en quelques mois alors qu’elle n’avait pas 40 ans. Et puis il y a eu la maladie de papa, son hémiplégie et pendant près de 10 ans tu l’as fait preuve d’un dévouement exemplaire. Son décès, il y a 7 ans à quelques jours près t’a fait vivre une difficile solitude.
Nous pensions qu’il ne pouvait rien arriver à une femme comme toi. La réalité nous a rattrapés et tu es partie mais il nous restera plein de choses de toi. Il nous restera tout ce que tu nous as offert : le courage, la volonté, le gout de l’effort et du travail bien fait, le respect des autres, le sens de la famille, la générosité, la politesse…en un mot l’Amour.

Il nous manquera la chaleur de des baisers, il nous manquera le sourire que tu offrais quand nous arrivions ; Mais je veux être optimiste et en reprenant le poème de William Blake je veux dire :

Je suis debout au bord de la plage.
Un voilier passe dans la brise du matin et part vers l’océan.
Il est la beauté, il est la vie.
Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.
Quelqu’un à côté de moi dit : « Il est parti ».
Parti vers où, parti de mon regard, c’est tout.
Son mât est toujours aussi haut,
sa coque a toujours la force de porter sa charge humaine.
Sa disparition totale de ma vue est en moi, pas en lui.
Et juste au moment où quelqu’un auprès de moi dit : « Il est parti »,
il y en a d’autres qui, le voyant pointer à l’horizon et venir vers eux,
s’exclament avec joie : « Le voilà ».
C’est ça la mort.
Il n’y a pas de morts,
Mais des vivants sur les deux rives. »

 

 

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