I- Comment ils sont devenus prisonniers ?
Mon père n’était pas encore nexonnais quand il a été fait prisonnier par l’armée allemande. Il était belge, né le 9 juin 1919 à Chénée, une petite ville de la banlieue de Liège. Au moment d’effectuer son service militaire il travaillait en France avec son père qui avait quitté le moulin familial et avait acheté une ferme. Il arrivera à Nexon, le 1er octobre 1945 où son père a acheté le moulin et la boulangerie du Courdein. Il y passera 62 ans, y épousera celle qui sera notre mère et lui donnera 7 enfants.
D’abord le service militaire
Mon père est appelé sous les drapeaux le 15 février 1939 pour effectuer son service militaire d’une durée théorique de 18 mois contre 21 mois en France. Il aurait donc dû regagner le domicile familial en aout 1940, mais rien ne se passera comme prévu.
Il est affecté au 1er Régiment de lanciers basé à Spa, ville thermale de la province de Liège. C’est un régiment prestigieux, héritier d’un régiment de cavalerie légère créé en 1814. Affecté à la « Garde du Rhin », il est l’un des régiment frontière, sentinelle avancée vers l’Est. Depuis janvier 1936 il est motorisé. C’est donc à moto que mon père effectue son service.
Les premiers mois du service se déroulent sans problème d’autant plus qu’à Spa il retrouve son oncle qui y habite et chez qui il peut aller lors des permissions. Mais à peine a-t-il effectué la moitié de son service que, le 25 aout 1939, est déclarée la mise sur pied de guerre de l’armée d’active et le 3 septembre la mobilisation générale de l’Armée belge. Cependant, contrairement à ses voisins anglais et français, la Belgique ne déclare pas la guerre à l’Allemagne et se proclame neutre.
Grâce à la Ligne Maginot (réputée invulnérable) et aux Ardennes (jugées infranchissables) l’État-major français considère que l’Allemagne, pour attaquer la France, doit passer par la Belgique en réitérant son plan “ Schlieffen ” de 1914. Pour y faire face le général français GAMELIN, commandant unique des armées françaises et de la British Expeditionary Force (B.E.F.) installées le long de la frontière franco-belge, élabore le plan “ Dyle ”. Il consiste, dès le début de l’attaque allemande et à condition d’en être informé à temps, à pénétrer en Belgique jusqu’à l’alignement Anvers-Wavre (Ligne K.W.) et sa prolongation jusqu’à Namur et, rejoint par l’armée belge, repousser l’attaque allemande.
L’armée belge devait occuper le segment Anvers-Louvain, la Force Expéditionnaire Britannique (B.E.F.) du Général GORT le segment Louvain-Wavre, la 1ère Armée française du Général BLANCHARD le segment Wavre-Namur, la 9ème Armée française du Général CORAP le segment Namur-Doncherry (France) — la position fortifiée de Namur étant défendue par un corps d’armée belge.
L’armée belge devait s’appuyer sur la ligne K.W., construite entre septembre 1939 et mai 1940, partant du fort de Koningshooikt près d’Anvers et se terminant à Wavre, d’où son nom « KW ». Elle consistait en une série de bunkers de combat, de fossés antichars et de structures en acier longeant la Dyle.
Pendant les longs mois de la « drôle de guerre », le 1er Lancier est stationné près de la frontière allemande. Lorsque le 10 mai 1940 HITLER lance ses troupes sur les Pays-Bas, le régiment fut rappelé au nord de Liège pour défendre la position fortifiée menacée par la percée allemande sur le Canal Albert. En 36 heures le fort d’Ében-Émael, réputé imprenable, capitule et 1200 soldats sont fait prisonniers. Le moral des belges est ébranlé mais leur neutralité ayant été violée ils entrent en guerre avec énergie. Ce fut le premier acte du plan d’invasion de la Belgique par l’Allemagne nazie et le début de la Campagne des 18 jours.
La campagne des 18 jours
L’attaque du 10 mai fut foudroyante. Elle s’appuyait sur une nouvelle tactique militaire baptisée “ Blitzkrieg ” (guerre éclair). Le 1er Lancier a subi ses premières pertes.
Conformément au plan d’obéir au commandant en chef français, l’armée belge fait mouvement vers la ligne K.W. Elle se positionne entre Anvers (Position Fortifiée d’Anvers) et Louvain, les forces britanniques entre Louvain et Wavre et la 1ère armée française entre Wavre et Namur. Pendant tout le repli vers l’Ouest mon père dors sur sa moto ou allongé à côté d’elle.
Le 15 mai l’armée néerlandaise capitule. Les Allemands disposent d’un matériel blindé plus évolué et leurs avions, les fameux Stukas, font des ravages. Bientôt, les armées française, anglaise et belge ne peuvent plus tenir la ligne K.W. Le 17 mai, la retraite est générale derrière le canal de Bruxelles-Charleroi.
Les Allemands se lancent précipitamment vers Bruxelles, qui est occupée dans la journée. Le lendemain, le 18 mai, Anvers tombe. Mais l’avancée allemande est toujours aussi rapide. L’armée belge effectue son repli vers l’Escaut puis il est décidé qu’elle mènera une bataille d’arrêt sur la Lys. Elle y résiste cinq jours sans reculer. Plus de 3000 soldats belges sont tués en 3 jours. Malgré la dureté des engagements et la supériorité aérienne allemande, le moral des troupes reste excellent. Le 25 mai au matin, tandis que dans un suprême effort, privée de tout soutien aérien, l’armée belge tente d’enrayer la course allemande vers les ports de la mer du Nord, pour renforcer l’esprit de résistance de ses soldats, le Roi fait lire à ses troupes la proclamation suivante :
Dès l’aube du 26 mai, l’ennemi reprend son attaque en force. Les lanciers du 1er Régiment se replient près d’Ypres. L’armée belge résiste tandis que les troupes britanniques se retirent, sans avoir prévenu, afin d’embarquer à Dunkerque et regagner l’Angleterre.
Depuis le 18 mai le gouvernement belge s’était réfugié à Sainte Adresse en Normandie, comme en 1914, sauf quatre ministres que le Roi voulait à ses côtés, Hubert PIERLOT, premier ministre, Paul-Henri SPAAK, ministre socialiste des affaires étrangères, le général DENIS, ministre de la défense nationale et Arthur VANDERPOORTEN, ministre de l’intérieur. Les ministres étaient convaincus que les Alliés allaient renverser la situation et que le roi devait être à côté du gouvernement pour gouverner la Belgique en guerre et qu’en tant que chef de l’Etat il devait éviter d’être fait prisonnier. De son côté le roi était persuadé que la victoire serait allemande. Il considère que son honneur lui interdisait d’abandonner ses soldats troupes et qu’il devait demeurer avec son peuple. C’est donc sur un désaccord total que les quatre ministres quittent le roi et gagnent la France.
Le 27 mai au matin Plusieurs brèches importantes se créent sur le front tenu par l’armée belge, qui ne dispose plus de réserves. De plus en plus d’unités annoncent qu’elles ne sont plus en mesure de poursuivre le combat, faute de munitions et de nouvelles unités flamandes font défection.
La capitulation de la Belgique
Le 27 mai, en milieu d’après-midi, le chef de l’Etat-major ayant exposé au Roi la situation irrémédiablement perdue de l’armée, le Roi Léopold III envoie le général-major DEROUSSEAUX comme parlementaire auprès des allemands pour demander les conditions d’une suspension des hostilités. Ceux-ci exigèrent une » reddition sans conditions « . Le roi accepta, contre l’avis de son gouvernement. L’ordre de capitulation de l’armée belge prit effet le lendemain 28 mai, à 4 heures du matin. Cette reddition se fait sans consultations aucune des alliés de la Belgique et leur provoque une certaine confusion. Ils sont obligés de se replier précipitamment pour éviter de laisser les allemands atteindre les plages de Dunkerque. A ce moment environ un million et demi de Belges sont réfugiés en France. Le 1er juin les effectifs militaires belges présents en France sont évalués à 105 700 hommes
Mon père est officiellement fait prisonnier le 5 juin 1940 à La Panne, quelque jours avant ses 21 ans. Ceci s’est fait dans une « relative douceur ». Depuis la capitulation tous les militaires belges étaient prisonniers ; Ils ont été poussés, sans violence, vers une destination où les allemands les ont enregistrés, triés pour ensuite les convoyer vers le lieu de leur détention.
Pendant ce temps le gouvernement belge et un certain nombre de parlementaires sont passés en France et ont rejoint Poitiers et Limoges.
Le parlement belge à Limoges
Le 23 mai 1940 le Gouvernement belge quitte sainte Adresse et se replie à Poitiers tandis que les deux chambres du Parlement se sont exilées à Limoges pour quelques semaines. Cinq ans après, mon grand-père et mon père viendront habiter à Nexon et se retrouveront près de Limoges ! Ainsi vont les hasards de la vie.
La capitulation de l’armée belge suscite la colère en France. Dès le matin du 28 mai, Paul REYNAUD, président du Conseil français, exprime à la radio sa colère contre le roi Léopold. Le 29 mai, le gouvernement PIERLOT décide de convoquer à Limoges, le maximum de parlementaires pour une réunion publique solennelle. Dans l’intervalle, Hubert PIERLOT déclare que la capitulation de l’armée n’engage pas le pays et souligne que « La faute d’un homme ne peut être imputée à la nation entière ». Dans le même temps il délie les officiers et les fonctionnaires de leur serment de fidélité envers le Roi. Plus tard dans la journée, le conseil des ministres constate officiellement l’« impossibilité de régner » de Léopold III et décide d’exercer désormais collectivement les prérogatives royales, sous la formule exécutoire : « Au nom du Peuple belge, nous, Ministres réunis en Conseil… » ( art. 79 et 82). Ces dispositions ayant été prises la séance du Parlement réuni à Limoges peut s’ouvrir. Elle est fixée au 31 mai.
Les députés et des sénateurs sont logés dans les hôtels de Limoges réquisitionnés à cet effet, les grands cafés sont très fréquentés. A côté des parlementaires il y a les membres de toute la presse belge qui, le 29 mai, manifeste sa confiance aux Chambres dont la réunion doit se tenir le lendemain.
Le 30 mai, pour la réunion du Parlement et du Sénat, sur les 202 députés belges, 89 sont présents à Limoges ainsi que 54 sénateurs sur les 167. de ce fait le quorum n’est pas atteint.
Après que le maire de Limoges, Léon BETOULLE, ait prononcé un mot de bienvenue où il accuse Léopold III de trahison. Puis Frans Van CAUWELAERT, président de la Chambre des représentants de Belgique, adresse ses remerciements à la municipalité de Limoges et assure qu’unies aux forces Alliées la Belgique, ayant reconquis son indépendance, restera fière et non déshonorée.
Le président du Sénat prend ensuite brièvement la parole.
C’est ensuite le premier ministre PIERLOT qui intervient avant que les parlementaires se réunissent à huis clos.
Après une réunion tumultueuse rapportée plus tard par les participants, la résolution proposée par le Gouvernement en accord avec les présidents de la chambre et du Sénat, est adoptée à l’unanimité des parlementaires présents.
Les sénateurs et députés belges résidant en France, expriment à l’unanimité leurs sentiments ;
- Flétrissent la capitulation dont Léopold III a pris l’initiative et dont il porte la responsabilité devant l’histoire ;
- S’inclinent avec respect devant ceux qui sont déjà tombés pour la défense de notre indépendance et rendent hommage à notre armée qui a subi un sort immérité ;
- Affirment leur confiance dans notre jeunesse, qui, à brève échéance, fera réapparaître nos couleurs sur la ligne de feu ;
- Se déclarent solidaires du Gouvernement qui constate l’impossibilité juridique et morale pour Léopold III de régner ;
- Adressent à leurs compatriotes de la Belgique occupée par l’ennemi l’expression de leur fraternelle et ardente sympathie, sûrs qu’ils sont de leur indéfectible patriotisme ;
- Attestent leur ferme résolution de consacrer toutes les forces du pays et de sa colonie à la poursuite de la lutte contre l’envahisseur jusqu’à la libération de la patrie aux côtés des puissances qui, ont répondu sur l’heure à l’appel de la Belgique attaquée,
- Expriment leur profonde gratitude à la France et à la Grande-Bretagne qui ont accueilli fraternellement à leurs foyers les réfugiés,
- Et affirment leur inébranlable confiance dans la victoire du Droit et de l’Honneur.
L’action du Gouvernement trouve sa légitimité dans cette séance Parlementaire de Limoges, la dernière avant septembre 1944.
Un résumé des discours est publié dans le Populaire du 1er juin 1940.
Le gouvernement PIERLOT est sorti consolidé à la suite de la « résolution de Limoges ». Avec l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain il n’était plus question de demander des comptes à la Belgique pour son attitude entre 1937 et 1940. Quant aux parlementaires, unanimes à Limoges pour condamner l’attitude de Léopold III, 74 d’entre eux se rétractent dès le 15 septembre 1940 et signent un Mémorandum d’excuses transmis au roi « prisonnier à Laeken ».
Les prisonniers de guerre belges
Les Allemands ne savaient pas ce qu’ils allaient faire de 500 000 prisonniers. Ils ont été parqués dans des camps provisoires éparpillés à travers la Belgique. Une partie d’entre eux, environ 150 000, parvint à fuir. Mais le 5 juin une instruction émanant d’Hitler précise comment les prisonniers vont être répartis :
« Tous les prisonniers de guerre issus des provinces de la Flandre-Occidentale, de la Flandre-Orientale, d’Anvers, du Limbourg, du Brabant (ville de Bruxelles et arrondissement de Nivelles non compris) seront immédiatement relâchés. Les prisonniers issus des autres provinces, c’est-à-dire des territoires wallons, seront transportés en Allemagne. Toutefois, les prisonniers de ces territoires pouvant établir leur origine flamande ou exerçant une profession d’utilité publique seront libérés immédiatement.
Sont notamment à libérer : les médecins, les vétérinaires, les ingénieurs et techniciens de tout genre, les directeurs et employés d’entreprises commerciales, les fonctionnaires, le personnel des entreprises d’eau, du gaz, de l’électricité, le personnel des services de transport, les ouvriers et employés agricoles, les ouvriers mineurs, les chauffeurs d’automobile, les ouvriers spécialistes. »
Ainsi 300 000 hommes furent libérés afin de faire fonctionner l’industrie, l’administration et les transports de la Belgique occupée que les allemands comptaient bien utiliser à leur profit. Le reste, environ 215 000 militaires belges, dont mon père faisait partie, fut transporté en Allemagne, en train ou en bateau. Les officiers furent internés dans les Oflags (Offizierslager) et les autres militaires furent envoyés dans les stalags (Stamlager camp de base).
L’Allemagne comptait 56 Stalags et 14 Oflags. Ils étaient répartis sur tout son territoire, y compris ceux nouvellement conquis. Les stalags, répartis suivant la numérotation des arrondissements militaires, étaient constitués d’un camp central où se faisait l’immatriculation et où se tenait toute l’administration et les prisonniers étaient réparti en cellules, plus ou moins importantes appelées « kommando ».
Dans le cadre de la Flamenpolitik, HITLER considérait les flamands comme des germaniques et que de ce fait il étaient supérieurs aux wallons. Il décida donc leur libération à partir d’août 1940 à condition qu’ils prouvent qu’ils étaient flamands et pour cela ils devaient passer un test linguistique. De nombreux francophones, dont pratiquement tous les Bruxellois, réussirent à passer le test et purent regagner leur foyer. Parlant mal le flamand mon père n’a pas pu se présenter à ce test. Au total, cette sélection à base ethnique entraîna la libération de 79 114 prisonniers selon un décompte allemand. Mais 30 000 militaires néerlandophones, y compris des officiers qui manifestaient un patriotisme qui heurtait les Allemands, ne furent pas libérés avant la fin de la guerre. Il resta donc un peu plus de 105 000 militaires belges dans les camps jusqu’à la fin de la guerre. 770 prisonniers parvinrent à s’évader au fur et à mesure des années, 12 476 malades graves furent rapatriés dans le cadre d’accords patronnés par la Croix-Rouge internationale, mais 1 698 prisonniers moururent en cours d’internement. Compte tenu des diverses libérations réalisées en 1941 et 1942, on peut dire qu’environ 65.000 prisonniers de guerre belges sont restés en captivité pendant cinq ans en Allemagne. (A suivre).