Georges de LA FOUCHARDIERE ( 1874- 1946) était journaliste au Canard enchaîné et à l’Oeuvre. C’est dans ce journal qu’il écrit un article ironique sur le procès intenté par le chef de gare de Nexon a deux voyageurs qui ont chanté la fameuse Complainte du chef de gare. Chantée sur l’air de Il était un petit navire, elle a été détournée par les soldats pendant la Première Guerre mondiale avec son refrain : il est cocu le chef de gare …
Le Populaire du Centre du 11 décembre 1927 reprend l’article sous le titre » Un chef de gare qui n’aime pas la musique. »
« Le chef de gare de Nexon (Haute-Vienne) a arrêté un train pour chants séditieux ; la police a arrêté les chanteurs et les a accompagnés au violon, et puis le tribunal correctionnel de Limoges les a condamnés à un mois de prison, sans sursis.
Ainsi se propagent par la voie ferrée, en province, les méthodes de dressage mussolinistes dont bénéficient les Parisiens par la grâce de la police municipale… Car bientôt nous ne serons plus tolérés sur la voie publique qu’à condition de marcher au pas de l’oie, à l’alignement, en prodiguant aux agents stationnaires de fréquentes marques extérieures de respect, et après avoir prouvé, par un certificat émanant du commissaire de notre quartier, que notre présence dans la rue a un but excessivement vertueux.
Voici qu’il n’est plus permis de chanter dans les trains pour charmer les loisirs de l’attente ambulante. Notez que les deux jeunes gens condamnés par le tribunal de Limoges ne chantaient point la sanguinaire Marseillaise, ni même la pacifique Internationale, ni un cantique composé par le général de Castelnau à la gloire de sainte Geneviève, maréchale de France.
Ils chantaient la plus antique chanson du folklore ferroviaire, la Complainte du chef de gare, consacrée par une respectable tradition et par les voix de générations innombrables, civiles et militaires qui, roulant vers le plaisir ou vers la peine, vers la mort ou vers la gloire, jetaient en passant à chaque station, comme un hommage harmonieux, les échos obstinés d’une touchante légende.
Car la Complainte du chef de gare est légendaire, et nul ne saurait s’offenser d’une telle fiction. De toutes les professions exercées par les hommes aucune, plus que la profession de chef de gare, ne présente de garanties contre une disgrâce.
C’est pourquoi les chefs de gare, lorsqu’ils entendaient chanter la Complainte du chef de gare, souriaient avec bonnommie. Ils ne prenaient pas ça pour eux, ni pour le collègue de la station suivante ; car, parmi les chefs de gare, les uns sont célibataires, et les autres ne lâchent leur femme que pour leur petit drapeau et leur petit sifflet, très momentanément… Il faudrait vraiment que les dames des chefs de gare mettent dans la trahison une rapidité exceptionnelle qui la rendrait aussi fugitive que le passage d’un express.
Le chef de gare dont il est question dans la chanson est un chef-de-gare-fantôme, issu d’une vieille légende : il y eut une fois un chef de gare qui fut trompé par sa femme, sous Mac-Mahon, et la chose parut si invraisemblable, si inouïe, si prodigieuse, qu’on en fit une chanson.
Cet événement miraculeux se serait-il renouvelé de nos jours ?
Car enfin, voilà le chef de gare de Nexon qui prend ce refrain pour une allusion personnelle… Il s’écrie : « C’est moi le chef de gare en question… On m’insulte en me venant corner aux oreilles l’aventure désagréable dont je fus le héros… ».
Eh ! cherchez une autre explication à la colère du chef de gare de Nexon.
Les deux jeunes gens si durement condamnés ne savaient pas… Mais, à l’avenir, nous saurons…
Quand nous passerons à la station de Nexon, nous chanterons l’Hymne du Père Dupanloup, qui est aussi un chant ferroviaire, très joli, plus varié même que la Complainte du chef de gare, encore que plus difficile à apprendre (je connais peu d’érudits qui en connaissent par cœur les vingt-trois couplets).
Et nous regarderons discrètement par la portière opposée à la gare, ne voulant pas qu’un regard apitoyé par une exceptionnelle infortune semble à l’infortuné une volontaire injure… » (L’Œuvre) G. DE LA FOUCHARDIÈRE ; Le Populaire 11 décembre 1927
Quelques jours après cette publication, M. DEPARDAY, le chef de gare de Nexon, écrit au Populaire :
« LE CHEF DE GARE DE NEXON NOUS ECRIT
On sait que notre éminent collaborateur La Fouchardière a pris dernièrement agréablement à partie le chef de gare de Nexon, à l’occasion de l’affaire qui l’amena à témoigner en l’audience correctionnelle de lundi 5 décembre. A ce propos, nous recevons une lettre du modeste agent de la Compagnie d’Orléans, qui rétablit les faits tels qu’ils se sont passés et déclare avec bonne grâce qu’il est, pour la chanson célèbre, bien plus indulgent qu’on ne le croit.
Voici sa lettre :
Nexon. Le 12 décembre 1927.
Monsieur le Directeur du journal, « Le Populaire » à Limoges.
Je me permets de répondre à votre article me concernant intitulé : « Un chef de gare qui n’aime pas la musique ».
Je regrette de vous dire que votre information est complètement fausse et vos renseignements inexacts.
Voici les faits tels qu’ils se sont passés : Le 9 août dernier, les nommés Furner et Demartin, sujets italiens, occupés comme manœuvres à une entreprise pour la réfection des voies, ont voulu pénétrer de force sur les quais de la gare pour prendre le train, sans billet ; m’y étant opposé, ils m’ont insulté, me traitant des noms les plus grossiers et ont voulu me frapper. Tels sont les faits qui ont motivé leur comparution devant le tribunal de Limoges.
Il ne s’agit donc pas d’une plainte pour avoir chanté la chanson connue ; d’ailleurs, peut-être même que ces étrangers ne la connaissaient pas. Depuis 16 ans que je suis chef de gare, j’ai entendu bien des fois ce couplet sans y prêter aucune importance et ne m’en suis jamais froissé, au contraire, comme mes collègues, j’en ai ri.
Je vous prie, Monsieur le Directeur, de bien vouloir faire le nécessaire pour faire connaître à vos lecteurs l’exacte vérité concernant cette affaire.
Veuillez agréer. Monsieur le Directeur, mes bien sincères salutations.
DEPARDAY, Chef de gare, Nexon (Hte-Vienne).
A notre tour, nous adressons à M. le chef de gare de Nexon nos bien sincères salutations et l’assurons que nous n’avons jamais douté de son esprit de conciliation en matière de chants irrévérencieux. En France on sait rire de tout quand c’est faux. » Le Populaire mardi 13 décembre 1927
La chanson paillarde est un détournement du texte de la chanson Il est content le chef de gare, chantée en 1912 par Mansuelle sur l’air de Il était un petit navire.
La chanson était ironique comme le montre les paroles et le refrain :
« J’étais l’autre jour dans l’train d’plaisir
Avec ma femme et mes trois gosses
Ma belle-mère, l’ami Casimir
On voulait s’en payer une tranche
Le wagon était plus que plein
Au départ jugez d’notre colère
Au lieu d’être dix on était vingt
Alors j’appelle par la portière : Chef de gare ! Chef de gare !
Aussitôt v’là qu’à l’unisson de tous les côtés on répond :
Refrain :
Il est content le chef de gare
Il est content le chef de gare
Il est près d’sa femme qui vient d’accoucher (bis)
Ohé ! Ohé ! Qui vient d’accoucher.
Pendant la Première Guerre mondiale, les soldats qui reviennent en permission se retrouvent dans la même situation que Casimir avec des wagons bondés et détournent les paroles et en font Il est cocu le chef de gare. Son usage est si courant en 1916 que les autorités militaires décident de l’interdire tandis que la presse se moque de cette censure.
, à l’image du Filon, qui dénonce l’arbitraire et l’inefficacité du veto :
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