Le 14 septembre 1996 la presse limougeaude rendait compte de ce fait divers :
Le procès qui va se dérouler quelques mois après va révéler toute la complexité de cette affaire. Le garçon et la jeune Catherine étaient amoureux mais le père de la jeune fille trouvait que le garçon n’était pas un bon parti. Il a interdit à sa fille de le revoir… et bien sur celui-ci a rencontré quelqu’un d’autre ce que la jeune fille n’a pas supporté, d’où sa vengeance.
Dans un premier temps elle a été mise en prison et son enfant est né pendant son incarcération.
Le procès à lieu le 16 février 1897 devant la Cour d’Assise de Limoges. La salle est comble et la tribune des dames est complète.
La presse a donné une large place à ce procès. Voici le compte rendu publié dans le Courrier du centre du 17 février 1897 :
COUR D’ASSISES DE LA HAUTE—VIENNE
Audience du 15 février 1897
Affaire Catherine Pradaud (Coups et blessures)
Catherine Pradaud. 21 ans, est originaire de Nexon, où elle est née le 6 octobre 1873 ; elle est cultivatrice a Sazerat. C’est une jeune femme aux traits réguliers, vêtue de noir. Un fichu de même couleur lui couvre la tête.
Elle tient entre ses bras un mignon bébé de quatre mois, joufflu et bien portant, une petite fille qui ne demande qu’à vivre et regarde de ses grands yeux étonnés cette foule qui se presse dans l’auditoire.
M. Debay, greffier, donne lecture de l’acte d’accusation, et, pendant cette lecture, l’enfant, dont l’heure du goûter est arrivée, saisit avidement l’extrémité d’un biberon que lui tend sa mère et tète.
Acte d’accusation
Le 11 septembre 1896, vers midi, la fille Catherine Pradeau se rendit dans un champ où travaillait le sieur Jean Denardou et lui lança par surprise le contenu d’une fiole d’acide nitrique. Gravement atteint au visage, à la poitrine et à l’œil droit, Denardou, malgré des soins immédiats et un long traitement, a complètement perdu l’usage de l’œil.
La victime de cet attentat avait entretenu, pendant longtemps, des relations intimes avec Catherine Pradeau.
Mais le père de la jeune fille, ne voulant pas la donner en mariage à un jeune homme sans fortune, avait fait interdire a Denardou l’entrée de sa maison.
Apprenant que, malgré sa défense, les deux amants continuaient à se voir, il avait proféré des menaces de mort contre le jeune homme, disant qu’il le tuerait, s’il le surprenait avec sa fille. L’état de grosses de cette dernière n’aurait pu modifier de si hostiles dispositions et, au mois d’août, le sieur Pradeau déclarait encore qu’il ne consentirait jamais à accepter Denardou pour gendre.
Celui-ci cependant, désespérant de le faire revenir sur sa détermination, avait cessé depuis quelque temps de fréquenter Catherine Pradeau lorsqu’il fit, à Aixe, le 15 août 1896, la connaissance d’une jeune fille qui lui plut et qu’il fit demander en mariage. Sa demande avant été favorablement accueillie, le mariage fut fixé au 19 septembre et les publications furent faites à Nexon.
Catherine Pradeau, à la nouvelle de cette union, qui ruinait ses dernières espérances, se rendit auprès de Denardou, le 8 septembre et le supplia de revenir à elle, lui disant qu’il n’avait plus à craindre le refus de ses parents. Mais le jeune homme lui répondit que son mariage avec Maria Denis était trop avancé, à l’heure actuelle, et qu’il ne pouvait le rompre.
Malgré ce refus, le sieur Pradeau fit faire le lendemain par l’entremise du voisin, une démarche auprès de Denardou dans le but de le décider à épouser sa fille.
C’est à la suite de l’insuccès de cette dernière tentative que Catherine Pradeau se porta, le 11 septembre, à la rencontre de son amant et lui jeta au visage le liquide corrosif que, dès le 8 septembre, elle avait acheté chez un pharmacien de Nexon, dans un but de vengeance.
En conséquence, la fille Catherine Pradeau est accusée d’avoir, au mois de septembre 1896, en la commune de Nexon, volontairement fait des blessures au nommé Jean Denardou, avec, ces circonstances :
1° Que lesdites blessures ont été suivies de la perte d’un œil ;
2°Que ladite Catherine Pradeau avait, avant l’action, formé le dessein d’attenter à la personne dudit Jean Denardou.
L’interrogatoire
M. le président procède à l’interrogatoire de l’accusée.
Celle-ci se lève et, pour apaiser son enfant qui commence â s’impatienter, elle le berce doucement ; vainement, car les cris continuent ; il faut que Camille, le garde du palais, le prenne dans ses bras et l’emporte chez lui avec son biberon.
L’interrogatoire commence ; elle répond d’une voix faible aux questions préliminaires qui lui sont posée. Elle avoue avoir jeté à la figure de son amant un bol d’acide azotique et avoir causé la perte d’un œil.
— Et pourquoi avez-vous commis cette action lui demande le président.
C’est un garçon que j’aimais beaucoup et que J’aime encore, répond l’accusée, il m’avait promis le mariage et m’avait juré de ne m’abandonner qu’a la mort. Il venait chez moi, à la veillée, c’était un camarade de mon frère. Après la départ de mon frère pour le service, Denardou n’est pas revenu, mon père le lui avait défendu. Nos rapports ont duré trois ans, ils ont cessé trois mois après que je me suis reconnue enceinte.
D. Denardou est-il le père de votre enfant ?
R. Monsieur le président, il en est le père comme j’en suis la mère.
D. Ce n’est pas ce que dit votre victime. Vous a-t-il demandée à votre père ?
R. Non, monsieur, mais la première fois que j’eus des rapports avec Denardou, c’est après une promesse formelle de sa part de me prendre pour femme.
D. Voire père ne voulait pas de ce mariage, il ne vous l’avait pas caché.
R. C’est vrai, mais j’aimais Denardou et lui m’avait promis de ne me quitter qu’a la mort.
D. A quelle époque vos parents se sont-ils aperçus de votre état de grossesse ?
R. Six ou sept mois après.
D. A ce moment, dites-vous ils ont déclaré ne plus voir d’obstacles à votre mariage avec Denardou. Eh bien ! il parait qu’il n’en est rien. A quelle époque avez-vous appris le projet de mariage entre Denardou et Mlle D.… ?
R. Vers le mois de septembre, alors je suis allé trouver mou amant et lui ai demandé si la nouvelle que je lui répétai était exacte. Il m’a répondu affirmativement, et a déclaré qu’il ne pouvait pas m’épouser puisque mes parents ne le voulaient pas. Je lui ai répondu que c’était faux.
D. Et c’est le 8 que vous avez acheté de l’eau forte chez M. Bonnel, pharmacien à Nexon, sous prétexte que vous en aviez besoin pour faire disparaître des verrues.
R. C’est exact.
D. Était-ce bien pour en faire l’usage que vous disiez ?
R. Non, monsieur. J’étais affolée et je voulais me venger.
D. Le 11 septembre, vous avez eu un second entretien avec Denardou ?
R. Oui, je suis allée le trouver et une fois de plus Je lui ai demandé s’il voulait m’épouser ; il m’a répondu non ; alors je lui ai jeté un bol d’acide à la figure.
L’audience est suspendue à 11 heures1/4.
Audience du soir
L’audience est reprise à une heure un quart. La salle est comble, la tribune des dames est au grand complet.
L’accusée est introduite et s’assoit à son banc ; elle tient toujours entre ses bras son enfant qui dort doucement sur le sein de sa mère.
Les Témoins
L’audition des témoins commença.
— Denardou, la victime de cette affaire passionnelle, raconte la scène au cours de laquelle il reçut au visage le liquide corrosif.
Il prétend que s’il n’a pas voulu se marier avec la fille Pradaud, c’est, qu’on lui avait dit que le père de celle-ci voulait le tuer s’il devenait son gendre.
Le président lui demande s’il est certain d’avoir été le seul à entretenir des relations avec Catherine Pradaud.
Le témoin dit qu’elle se rencontrait souvent avec plusieurs d’e ses amis et qu’il était bien possible qu’elle se fût donnée à d’autres que lui.
A une question catégorique du président sur ce point, Denardou répond « qu’il croit qu’il pourrait bien y en avoir eu d’autres, mais qu’il ne peut l’affirmer ».
Sur la demande du défenseur, Denardou reconnaît implicitement qu’il avait entamé des démarches en vue d’un mariage avec une autre jeune fille avant de savoir quelle était l’attitude des parents de Catherine Pradaud à son égard.
Il reconnaît également avoir objecté à la malheureuse jeune fille qui le suppliait de l’épouser, « qu’il était décidément trop tard, que les habits de sa noce avec Mlle D.… étaient achetés et qu’enfin il n’y avait plus rien à faire ».
Cet aveu cynique soulève un murmure dans l’auditoire.
— François Pradaud, 30 ans, cultivateur à Nexon, avait eu des idées matrimoniales sur la fille Catherine Pradaud, mais ayant appris que cette dernière était enceinte, il changea d’avis.
— M. Firmin-Barthélemy Tarrade, 65 ans, propriétaire à La Plaine, reçût la visite de la mère de l’accusée, trois ou quatre jours avant l’affaire qui amène Catherine Pradaud devant les assises.
Le témoin se chargea de faire une démarche auprès, de Denardou. Cette démarche n’aboutit pas et M. Tarrade le fit savoir au père de la jeune fille. Cet homme se mit alors à pleurer pendant une demi-heure, ajouta le témoin.
— Mme Bonnel, femme de M. Bonnel, pharmacien à Nexon, a délivré sur sa demande à l’accusée, du l’acide nitrique pour brûler des verrues.
— Jean Pradaud, 27 ans, employé de commerce, a assisté un jour à un entretien qu’avait à l’auberge le père de l’accusée avec une autre personne. Il était question de Denardou. « Il ne se mariera pas avec ma fille, dit le père Pradaud, je les tuerai plutôt tous les deux ». Ceci se passait le 1er août.
— M. le docteur Escorne a examiné Denardou aussitôt après le jet d’acide azotique dont il a été victime. L’honorable témoin explique d’une façon très précise les constatations qu’il a faites et termine en déclarant que l’œil droit de Denardou est complètement perdu, sans espoir de guérison.
— M. Gabriel Thomas, maire de Nexon, donne d’excellents renseignements sur la famille Pradaud, et en particulier sur l’accusée, fille très honnête et très sage. I
De son côté, Denardou est un excellent garçon qui n’avait jusqu’alors jamais fait parler de lui.
Le témoin a vu Catherine Pradaud à la gendarmerie après son arrestation, elle a regretté son acte de désespoir et a ajouté : j’aime toujours Denardou, et fut-il aveugle, s’il me voulait encore, je suis prête à l’épouser.
On est ému dans l’auditoire.
Le Réquisitoire et la Plaidoirie
M. Barnardbeig, substitut de l’avocat général, prononce un réquisitoire où perce une certaine émotion sympathique en faveur de l’accusée.
Néanmoins, se basant sur le principe qu’on ne doit pas se faire justice soi-même, l’honorable organe du ministère public conclut à l’application d’une peine mitigée par l’admission de Iarges circonstances atténuantes.
Le rôle de M. Nicard des Rieux est singulièrement facilité ; autant on est touché de la situation pénible dans laquelle se trouve sa cliente, autant Denardou est indifférent a tous.
Et avec son éloquence habituelle, le sympathique avocat rappelle tout ce qui a précédé la scène du 11 septembre, il montre le désespoir de la Jeune fille enceinte et l’égoïsme du séducteur.
Il insiste sur son cynisme lorsqu’il lui objecta qu’il ne pouvait l’épouser, ses habits de noces étant acheté pour une autre.
Me Nicard termine en demandant un acquittement.
Le jury se retire pour délibérer et rapporte le verdict que tout le monde attendait, un verdict négatif, un verdict d’acquittement.
Et dans la salle on applaudit lorsque lecture en est donnée à l’accusée.
L’audience est levée à 4 heures 1/2, une foule sympathique s’était massée au pied des escaliers du palais de justice pour voir sortir Catherine Pradaud que l’on a accompagnée jusqu’à la prison où a eu lieu la levée d’écrou.
Le Courrier du Centre 1897/02/17
Que déciderait un jury aujourd’hui ? Le respect de la parole donnée est la base de la société et c’est un déshonneur pour un garçon de ne pas épouser la fille qu’il a mise enceinte. Et pourtant, à Nexon comme dans toutes les communes, les enfants naturels n’étaient pas rares.