Le hasard des recherches de cartes postales m’a permis de trouver une carte postale originale. Le recto ne m’intéressait pas particulièrement car je possédais déjà cette carte mais je lis toujours le verso car les textes révèlent la vie courante de ceux qui écrivent.
Cette carte a été envoyée de Nexon le 22 novembre 1914 par un militaire qui vient d’y arriver. Il participe au rassemblement et à l’expédition de bétail pour les soldats qui sont au front.
Le soldat est arrivé à Nexon après des marches et des contremarches mais il ne se plaint pas car il voit du pays et il est bien nourri et logé chez des gens très gentils. Il est affecté au parc de regroupement du bétail qui est chargé d’expédier les bêtes au parc général à Meung sur Loire qui était rattaché à la Station Magasin des Aubrais.
Quand on parle de la guerre on pense surtout aux combattants mais on oublie souvent ceux qui les font vivre, les services du ravitaillement. Au moment de la déclaration de la guerre, le 3 septembre 1914, il y avait 880 000 hommes dans les casernes , ceux des classes 1911, 1912 et 1913 qui sont nés entre 1891 et 1893. Entre le 2 et le 7 août, 2 200 000 hommes de la réserve sont appelés, ceux des classes 1900 à 1910 qui sont nés entre 1880 et 1890 et avaient donc de 24 à 34 ans. A partir du 14 août, sont appelés les 700 000 hommes des troupes territoriales, ceux des classes 1893 à 1899, nés entre 1873 et 1879 et donc âgés de 35 à 41 ans. A partir du 16 août il a fallu ajouter la réserve de la territoriale formée des classes 1887 à 1892 ainsi que les 71 000 engagés volontaires qui avaient devancé l’appel. Il y eu rapidement plus de 3 millions de militaires à nourrir…
Chaque armée doit fournir 300 000 rations chaque jour. Pour cela ce sont 500 à 600 bœufs ou vaches qui, tous les jours, partent pour le front. Une fois par semaine, on donnait aux soldats de la viande de porc. Pour ce jour-là, 1.000 à 1.500 porcs vivants étaient expédiés aux abattoirs de l’armée….
Des plans étaient prévus puisque depuis la défaite de 1870 qui s’est traduite par la perte de l’Alsace et la Moselle par le traité du 10 mai 1871, tous les efforts étaient organisés en vue de leur reconquête. Et bien sur le ravitaillement n’était pas oublié. Chaque corps d’armée dispose d’une sous-intendance spéciale comprenant 3 officiers et 6 secrétaires, chargée du ravitaillement en viande fraîche. Le corps d’armée dispose également d’un parc de bétail conduit et administré par 7 officiers et 125 hommes. Ils sont dotés de 16 automobiles pour amener la viande au front… Et s’il fallait des bouchers il fallait également des boulangers, des cuisiniers …
Cette carte postale me permet d’approfondir le ravitaillement en viande fraiche des militaires pendant la guerre de 1914 – 1918
L’Instruction sur l’alimentation et le ravitaillement en viande des troupes en campagne du 18 mars 1901 mise à jour plusieurs fois jusqu’au 1er août 1915 permet de se faire une idée de cette organisation .
Art. 1er. Toutes les fois que cela est possible, on distribue aux troupes de la viande fraîche ; à défaut de viande fraîche, on distribue de la viande de conserve.
La viande fraîche est fournie d’abord par l’exploitation des ressources locales (1) des pays traversés par les troupes : ces ressources servent à assurer les distributions ainsi qu’à organiser et à entretenir des troupeaux marchant à la suite des troupes (troupeaux de ravitaillement, parcs de bétail de corps d’armée).
A défaut de ressources dans les pays traversés par les troupes, le bétail est envoyé de l’arrière par le service des étapes qui se le procure soit au moyen des ressources de la zone d’étapes si elles sont suffisantes, soit, dans le cas contraire, en le demandant aux stations-magasins.
Les stations-magasins sont alimentées en bétail par le service territorial du ravitaillement qui fournit le bétail nécessaire à la formation de troupeaux d’approvisionnement (entrepôts de stations-magasins, parcs de groupement).
Si les troupes ont dû consommer de la viande de conserve ou si l’envoi de bétail par l’arrière est impossible, les stations magasins expédient de la viande de conserve dont un approvisionnement, constitué dès le temps de paix dans chaque station-magasin, est entretenu par des envois de l’intérieur.
Un troupeau de ravitaillement est affecté à chacune des grandes fractions du corps d’armée (divisions, éléments non endivisionnés), sous la direction immédiate des sous-intendants de ces unités.
Lorsque les ressources de la zone immédiate seront épuisées ou avant ce moment si les circonstances l’exigent (art. 33), le bétail nécessaire sera tiré de zones réservées plus en arrière le long de la ligne de communication qui dessert la station magasin. Dans chacune de ces zones (art. 24), est prévu (sur la ligne de communication et ses embranchements), un parc de groupement de bétail.
Qu’il s’agisse de l’approvisionnement de l’entrepôt ou du parc de groupement, le bétail est rassemblé dans un ou plusieurs centres de réception d’où il est dirigé par voie de terre sur l’entrepôt de la station-magasin ou le parc de groupement (2e échelon) par les soins d’une ou plusieurs commissions de réception, fonctionnant conformément aux instructions en vigueur pour l’exploitation méthodique des ressources du territoire national par le service du ravitaillement.
Quelques cartes postales illustre cet aspect de la guerre dont on ne parle pas souvent !
C’est sans doute ce qui se passait à Nexon. le bétail qui était rassemblé dans le parc de groupement était conduit à la gare pour être embarqué vers Orléans et se rendait ensuite à Meung sur Loire par la route.
Le parcours sur la route était organisé dans les moindres détails. L’instruction prévoit que les ouvriers préposés à la garde et à l’entretien des bestiaux prennent le nom de bouviers ou de toucheurs. Leur nombre varie selon le nombre des animaux et la nature du terrain qui, suivant qu’il est plus ou moins accidenté, augmente ou diminue les difficultés de la surveillance. En thèse générale, on admet qu’il faut en moyenne : en station, 3 à 4 toucheurs et 1 surveillant (caporal, autant que possible) pour 100 bêtes ; en marche, 6 à 8 toucheurs et 1 surveillant par 100 bêtes. Les toucheurs sont chargés des soins de propreté, de la conduite et de la garde des troupeaux au pâturage ou à l’abreuvage, de la distribution des fourrages, de la nourriture sur place quand il y a lieu, de la surveillance en marche ; enfin de tout ce qui a trait à la conduite et à l’entretien des animaux.
Pour conduire les troupeaux au pâturage ou à l’abreuvage, on les divise en groupes de 60 à 80 bêtes au plus, que l’on confie à un surveillant ayant sous ses ordres le nombre de toucheurs nécessaire, à raison de 2 toucheurs pour 30 à 40 bêtes. Chaque groupe est compté à la sortie et à la rentrée. On munit les toucheurs d’aiguillons. Chaque animal est pourvu de sa longe.
Marche des troupeaux.
Les troupeaux doivent avoir été examinés le matin du départ ou la veille au soir par le vétérinaire qui désigne les bêtes qui ne peuvent pas suivre et doivent être laissées sur place, confiées aux autorités locales contre reçu.
Les bœufs (ou vaches) peuvent faire 30 kilomètres par jour, à raison de 4 kilomètres à l’heure, mais à la condition qu’on ne presse pas leur marche, qu’on puisse les abreuver plusieurs fois et qu’on fasse des haltes de temps en temps (toutes les trois heures si possible). A moins de nécessité absolue, on évite de faire marcher les animaux pendant les heures de forte chaleur. On les fait marcher de préférence le matin et le soir.
Les haltes ont lieu, autant que possible, dans des endroits qui offrent aux bestiaux de l’eau potable, des pâturages et un abri contre le soleil ou le mauvais temps.
A l’arrivée à l’étape, le troupeau est de nouveau réuni. On cherche à se procurer des étables, hangars et à défaut un emplacement quelconque entouré de clôtures. S’il n’en existe pas, on y supplée en choisissant le campement le plus convenable et on y fait veiller les toucheurs à tour de rôle. Le service de surveillance de nuit doit être fortement organisé.
Des instructions ont été données pour que les toucheurs ne frappent ni ne piquent les bêtes ce qui fait perdre de la qualité à la viande.
Si un des lecteurs a des informations sur ce parc de regroupement de bétail il peut me le signaler par un commentaire.
Bonjour,
Merci pour cet article fort passionnant qui colle parfaitement avec mes recherches (le ravitaillement en viande de l’armée française durant la Grande Guerre). Auriez vous la cote d’archive d’où provient votre document du 30 juin 1915 je vous prie ?