Journal de Thérèse de Nexon du 12 juin au 3 septembre 1944

II – Juillet 1944

Samedi 1er juillet 1944

La semaine a été assez fertile en événements. Mardi, on a appris la prise de Cherbourg par les Américains. Mercredi, l’assassinat de Philippe Henriot.

Jeudi, je suis allée à Limoges par l’unique train venant de Périgueux (ou plutôt de Bussière-Galant) et en suis revenue hier. Vu François qui m’a donné des détails sur la vie à Chabanais, peu réjouissante. Il partait pour essayer de ramener ses garçons de Courpière, et sa fille de St. Cyran. Réussira-t-il ? Les voyages sont de plus en plus difficiles, avec les lignes coupées un peu partout, et détruites dans un endroit à mesure qu’on répare dans un autre. Actuellement il faut prendre la ligne du Dorat pour aller à Paris…ou à Lyon, en faisant des détours invraisemblables.

A Limoges la vie est compliquée. On a fait dans le centre de la ville un “îlot” fortifié comprenant la Préfecture, Poste, etc. et on n’y pénètre qu’à certains endroits où il y a des chicanes, les autres rues étant barrées et gardées par la police.

La Place Denis Dussoubs avec la casemate et les chevaux de frise dont parle Thérèze de Nexon

Ma chambre étant dans un îlot où on ne peut pénétrer qu’après 10 heures et avant 19 heures, sauf nécessité, je me suis munie d’un certificat de la Croix-Rouge. Naturellement, la ville est toujours pleine de rumeurs, ou de bobards, que chacun commente ou interprète selon ses tendances diverses … On parlait beaucoup d’une fusillade qui aurait eu lieu à St. Victurnien.

La semaine dernière, le triduum[1] à St. Martial, célébré à St. Michel au tombeau du Saint, a été suivi par une foule nombreuse et vraiment priante m’a-t-on dit. Chacun comprend la gravité de l’heure.


[1] Triduum pascal est une période de trois jours pendant laquelle l’Église célèbre la Passion, la Mort et la Résurrection de Jésus et qui s’étend de la messe vespérale du Jeudi saint aux vêpres du dimanche de Pâques.

Jeudi 6 juillet 1944

Nous avons su que François n’avait pas pu partir pour aller chercher ses enfants, sans doute la voie était-elle coupée et le voyage en Auvergne impossible. Géo va tenter d’aller chercher Marie-Amélie, Bernadette et Elisabeth des Courrières à Argenton où on les amènerait.

Nexon a reçu plusieurs visites, notamment le jour de la foire, où la perception et la poste en étaient le but. On a pris aussi de l’essence, des bâches, et on a emmené un ou deux hommes, les yeux bandés, mais autrement les habitants n’ont pas été molestés. (Il s’agit des maquisards qui se cachent de moins en moins au fur et à mesure que les alliés avancent en Normandie)

Mardi 11 juillet 1944Je suis allée à Limoges Samedi, pour prendre part à une journée
de Récollection de l’U.I.S.S. qui avait lieu Dimanche. Faite par l’abbé
Rousselot, ce fut une halte bienfaisante au milieu des préoccupations
actuelles. A Limoges on ne parlait que de l’arrestation de Mgr. Rastouil ( Il a été arrêté le 5 juillet et libéré le 22 juillet), qui n’est d’ailleurs pas interné, mais en résidence surveillée chez l’archiprêtre de Châteauroux. Il avait refusé de présider un service pour Ph. Henriot. J’ai voyagé en revenant, hier matin, avec des gens qui venaient de Paris. Ils disaient qu’on n’y trouve presque rien à manger, c’est pourquoi ils étaient partis. Ils avaient mis 9 jours à venir à Limoges, par Montargis, Nevers, Bourges et Châteauroux ou ils avaient trouvé des gens partis
3 jours avant eux, et qui avaient été mitraillés en route, ce que mes
compagnons avaient évité grâce à un temps orageux. A Bourges, ils avaient vu, triste spectacle ! 5 wagons à bestiaux transportant en Allemagne des réfractaires de Bretagne.

Jeudi 19 juillet 1944

Je suis allée à Limoges Mercredi dernier pour l’examen des aides médico-sociales. Je comptais y rester jusqu’à Vendredi matin, lorsqu’on m’a dit Jeudi soir qu’il y aurait les jours suivants de nouvelles restrictions sur la circulation et qu’on ne pourrait peut-être plus sortir en ville pendant quelques jours. Je me suis donc décidée à repartir dès Jeudi matin, en quoi j’ai été bien inspirée, car si toutes les mesures annoncées n’ont pas eu lieu, les trains ont été supprimés à partir de ce jour-là et je ne sais comment je serais revenue ici.

Donc, plus de trains pour aller et venir de Limoges et partout, plus de courrier pendant quelques jours. Cependant, depuis hier le service postal est rétabli grâce à une voiture à cheval qui fait la liaison avec Limoges. Hier nous avons eu des nouvelles de Jeanne et de Robert. Ce matin, j’ai une carte de Marie de Soucy qui a mis 7 jours à franchir la distance de 15km qui nous sépare ! et une lettre de Mlle. Callou, celle-ci me dit que 10 de nos infirmières ont péri avec leur hôpital dans le bombardement de Caen[1]. Il ne doit pas rester grand-chose de cette pauvre ville – maintenant aux mains des Anglais.

Mr. Chambon a été enlevé de son domicile la semaine dernière, et ses amis s’inquiétaient pour lui mais il a été revu ces jours-ci, en camion, armé d’une mitraillette.

Lundi, 2 avions anglais sont descendus sur Limoges et ont jeté 8 bombes devant la gare. On pense qu’ils visaient un hôtel où se trouve un P.C. allemand, mais celui-ci n’a pas été atteint. Un commissionnaire arabe a été tué et 7 personnes blessées.


[1] Le premier bombardement a lieu le 6 juin à partir de 13h30 avec le largage de 156 tonnes de bombes qui fait 500 victimes. Le lendemain, on compte 200 victimes de plus. Les bombardements ont duré 78 jours faisant 2000 victimes.



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